À la découverte de l'écoconception web !
À la découverte de l'écoconception web !
Publié le 23 février 2023
L’éco conception web ? Savez-vous ce que sait ? Pour tout vous expliquer, on a interviewé Aurélie Baton, UX designeuse éco engagée. Dans cette interview, elle nous éclaire sur le concept d’écoconception. Enjeux, impacts, obstacles et conseils, tout pour en comprendre l’essentiel. Sans oublier quelques arguments pour convaincre les entreprises de passer en mode web écoresponsable. Le sujet est tellement vaste qu’il fallait bien une interview pour en faire le tour, ou presque !
Plan de l’article :
Aurélie Baton : une UX designeuse éco engagée
L’écoconception : origines, définition et fondamentaux
L’écoconception, ça concerne qui ?
Pourquoi est-ce important d’écoconcevoir vos services numériques ?
Les 11 conseils d’Aurélie pour écoconcevoir votre site internet ou application web
Les obstacles anti-écoconception rencontrés en entreprise
Les arguments pour encourager le passage à l’écoconception
Les ressources d’Aurélie sur l’éco conception
Aurélie Baton : une UX designeuse éco engagée
On a interviewé Aurélie Baton dans le cadre de notre enquête sur le numérique écoresponsable. On a fait le point avec elle sur l’écoconception web.
C’est un sujet tellement vaste qu’on ne pouvait pas se contenter de l’évoquer dans notre podcast.
On a donc décidé de consacrer un article spécial à ce sujet.
On vous prépare le terrain avant d’attaquer des ressources plus denses. Certaines sont citées dans cet article.
Mais vant de commencer, quelques mots sur cette UX designeuse indépendante et engagée :
- Après 13 ans chez IBM, elle est maintenant indépendante et se spécialise dans l’écoresponsabilité. Ses objectifs : numérique plus responsable et la sobriété numérique.
- Elle fait partie de l’assocation Designers éthiques. Avec Anne Faubry, elle se charge d’un programme d’écoconception. Elles proposent des ateliers et rédigent des guides de bonnes pratiques pour les designeurs et designeuses.
- Sans compter les actions de sensibilisation.
Une personne captivante !
Allez, suivez-nous dans cet article qui reprend son interview passionnante.
L’éco conception : origines, définition et fondamentaux
Les acteurs et actrices de l’écoconception
Quels sont les premiers acteurs à parler d’écoconception de services numériques et à travailler sur ce sujet ?
En France, l’un des premiers acteurs principaux à travailler sur le sujet de l’écoconception, était Greenit.fr, une association fondée par Frédéric Bordage.
Elle fédère les acteurs et actrices de la sobriété numérique, du numérique responsable, de l’écoconception de services numériques et de la slow.tech.
D’autres organismes et associations travaillaient également sur les sujets du numérique plus responsable comme l’AGIT, EcoInfo du CNRS et Point de MIR.
Qu’entend-t-on par écoconception ?
L’écoconception, c’est prendre en compte l’environnement dès le début de la conception d’un produit ou d’un service, à toutes les étapes du cycle de vie et selon plusieurs critères environnementaux.
Pour plus d’infos, voir la norme IEC 62430 anciennement ISO 14062.
Les clés fondamentales de l’éco conception numérique :
- Définir l’unité fonctionnelle (fonction principale du service) pour pouvoir comparer et mesurer les impacts d’un service. En effet, on ne peut pas comparer les pages d’accueil de 2 sites avec des fonctions (ex : billetterie vs. annuaire), des cibles, des objectifs et des métiers différents. Ce qu’on va comparer, c’est le parcours utilisateur pour arriver à un même objectif. Ensuite, on peut évaluer l’impact.
- Prendre en compte le cycle de vie du service (ISO 14040 et 14044), tout le matériel utilisé pour le réaliser et plusieurs indicateurs environnementaux. Pas juste la consommation électrique ou le CO2 émis. Si on ne regarde qu’un indicateur, on risque de créer des transferts de pollution. On génère des impacts ailleurs, par exemple, la consommation de ressources ou d’eau.
Souvent on dissocie : écoconception, accessibilité, design de l’attention, design systémique… mais tout est lié !
Certaines règles peuvent être spécifiques à un domaine, mais elles se recoupent souvent. Donc il faut le voir comme une démarche globale. Il faut tout prendre en compte.
Quelques exemples de bonnes pratiques communes :
- Accessibilité et écoconception : structurer le contenu, éviter les animations intempestives, les autoplay pour les vidéos (vidéos jouées automatiquement au chargement d’un site),
- Protection des données (RGPD) et écoconception : éviter la captation des données personnelles inutiles au service, éviter les mécanismes de captation de l’attention comme le scroll infini (défilement infini de contenus).
Ce qui est important en fin de compte : c’est adopter une démarche d’amélioration continue.
C’est ce que spécifie la norme ISO 14001. Son but est d’aider les organisations à améliorer de façon systématique leur performance environnementale.
L’éco-conception, ça concerne qui ?
Coté conception : tout le monde.
La démarche d’écoconception peut se faire de nombreuses manières. Notamment dans la mesure où elle concerne tous les corps de métier du projet : gestion de projet, design, développement, DSI (direction des systèmes d’information), service des achats, marketing…
Il faut donc impliquer tout le monde, y compris le client et le manager. Idéalement, la démarche doit partir d’une volonté de l’entreprise. C’est d’ailleurs souvent le frein principal à l’implémentation de cette démarche. D’où la nécessité de convaincre les décisionnaires.
Côté utilisation : tout le monde.
Qui dit écoconception, dit meilleure UX (expérience utilisateur). Si vous écoconcevez votre site, il sera plus léger, donc plus rapide à charger. Ce qui joue en termes :
- d’accessibilité et de fracture numérique (lien ep 1 accessibilité). Par exemple, les personnes avec une connexion dégradée ou une faible bande passante ont accès à votre service. Vous touchez plus de monde, vous élargissez votre cible.
- de pollution numérique (lien article pollution numérique) : comme votre site est plus léger, il consomme moins de ressources, donc pollue moins.
Qui dit écoconception, dit aussi lutte contre l’obsolescence logicielle. Si votre téléphone est ancien, vous ne pouvez plus télécharger certaines applications. Ce qui rime avec :
- exclusion d’une partie de la population,
- incitation à renouveler les terminaux (lien ep 3 terminaux). Une vraie catastrophe d’un point de vue environnemental.
Donc l’écoconception a un impact positif pour l’humain et la planète !
Pourquoi est-ce important d’écoconcevoir vos services numériques ?
Principal enjeu de l’écoconception : allonger la durée de vie des équipements
On vous explique.
La production des équipements numériques, c’est ce qui pollue le plus :
- utilisation de ressources non renouvelables (métaux, eau…),
- pollution liée à leur extraction, à la construction des terminaux, leur transport, aux déchets que cela engendre, etc.
Qu’est-ce qui vous fait renouveler vos équipements numériques ?
L’obsolescence logicielle (entre autres) :
- quand vous rencontrez des problèmes de latence,
- quand vous n’avez plus assez de stockage pour installer une application,
- quand les mises à jours de vos applications ne les font plus fonctionner sur votre version,…
En luttant contre l’obsolescence, l’écoconception permet donc d’éviter au maximum le renouvellement des terminaux. De quoi économiser les ressources premières et éviter la pollution liée à leur fabrication. CQFD !
Les autres enjeux de l’écoconception
- Éviter l’effet rebond. Des gains de performance peuvent, par exemple, engendrer un accroissement de l’utilisation de nos terminaux. Typiquement, le passage de la 3G à la 4G est un gain de performance : ça va plus vite. Mais ça signifie aussi que les usages ont changé : accroissement du streaming, etc.,
- Limiter le transfert de pollution. En se focalisant juste sur un indicateur environnemental, on risque de créer de la pollution ailleurs. Par exemple, en voulant réduire la consommation énergétique de certains appareils, on les renouvelle pour des appareils plus performants énergétiquement. Mais cela peut engendrer un transfert de pollution sur les ressources utilisées pour leur fabrication.
- Enjeux sociétaux : améliorer les conditions de travail des ouvriers dans les mines, par exemple. Améliorer aussi leur environnement en limitant l’impact désastreux de l’extraction des matières premières sur la biodiversité locale,…
- Enjeu au niveau des déchets électriques et électroniques : leur recyclage et leur impact sociétal (biodiversité, conditions de vie aux alentours des déchèteries…). On en parle dans notre épisode sur les lois du numérique écoresponsable.
Les enjeux sont donc multiples et vont de paire. D’où l’intérêt d’évaluer nos impacts à tous les niveaux : sociaux et environnementaux !
Les 11 conseils d’Aurélie pour écoconcevoir votre site internet ou application web
1 – Se poser la question du besoin
Est-ce vraiment nécessaire de créer un site ou une application pour votre activité ? Avez-vous besoin de numériser votre service ?
2 – Penser inclusion
Est-ce que vous excluez des gens en numérisant ? Par exemple, la numérisation des démarches administratives peut exclure une partie de la population.
3 – Réfléchir à l’utilité du service
À quoi va servir le site, l’application ou le service numérique ? Pourquoi le créer ? Par exemple, est-il nécessaire d’avoir un assistant vocal pour éteindre la lumière ?
Surtout si c’est pour l’utiliser en parallèle de votre application qui compte vos pas, autant se déplacer pour éteindre la lumière soi-même ! Sauf pour le cas des personnes à mobilité réduite, donc tout dépend de la cible de votre service.
4 – Quantifier et évaluer le besoin
Quel est le minimum pour faire fonctionner son service ou son site ? Pour assurer la fonction principale du service numérique.
Savoir à qui on s’adresse exactement pour estimer la fonction principale du service.
Il s’agit de se focaliser sur l’essentiel et éliminer le superflu : de quelles fonctionnalités avez-vous réellement besoin ? Eliminez le reste.
Pour cela, questionnez vos habitudes de design et repensez comment satisfaire le besoin de base :
- Vous utilisez un design système ? Demandez-vous si vous devez absolument tout garder pour le site que vous créez.
- Vous aimez mettre des vidéos en page accueil ? Demandez-vous si c’est vraiment utile pour répondre au besoin premier de votre site, et à quel point la durée pour être réduite.
- Vous utilisez des carrousels pour faire défiler les photos ? Dites-vous déjà que ce n’est pas terrible pour l’accessibilité, l’expérience utilisateur et l’écoconception.
- Faites des tests utilisateurs pour vérifier la pertinence, selon le contexte.
- Votre blog n’est pas régulièrement mis à jour et comporte une panoplie d’articles obsolètes ? N’affichez que les plus récents. Et pensez à alerter les personnes en charge des articles pour faire le ménage : ça s’appelle la sobriété éditoriale.
5 – Penser mobile first
Concevoir pour le mobile force à aller à l’essentiel de l’information. Car on a un espace limité, contrairement au desktop (version ordinateur) où on est tenté d’en rajouter trop.
En plus, beaucoup de monde utilise son téléphone en priorité. Ça vaut la peine de faire fonctionner votre site sur mobile.
6 – Fluidifier le parcours utilisateur (UX)
Plus l’utilisateur ou l’utilisatrice atteint rapidement son objectif (unité fonctionnelle), moins il ou elle passe de temps sur le service numérique, donc moins il ou elle a d’impact.
7 – Optimiser les images
Le poids des images compte pour beaucoup dans le poids de la page. Or, les images sont de plus en plus haute résolution. Cela n’est pas forcément nécessaire.
Il s’agit donc de :
- sélectionner les images selon leur utilité : aller à l’essentiel, à ce apporte du sens, trouver le juste milieu. On peut illustrer un site de manière raisonnable.
- tailler les images choisies à la bonne dimension,
- compresser les images en fonction du terminal de lecture, pour garder la qualité visuelle, mais réduire le poids et donc le temps de chargement.
- choisir le bon format : illustration en SVG (sauf si elles sont trop complexes), ou image en WebP.
8 – Attention aux vidéos
Elles polluent énormément, car elles consomment beaucoup de données.
Quelques bonnes pratiques :
- Là aussi, d’abord questionner l’utilité,
- Eviter l’autoplay (lancement automatique de la vidéo à l’ouverture du site),
- Réduire la durée,
- Mettre un lien vers la vidéo (hébergée sur Youtube par exemple) plutôt qu’un lecteur de vidéos sur votre site,
9 – Limiter les plug in
Par exemple, Google Maps allourdi le poids et les requêtes de la page. Souvent, la fonctionnalité n’est pas utile.
10 – Maintenir votre site :
Qui va maintenir le site ou l’application une fois en ligne ? Comment les personnes vont être formées pour bien utiliser le back office ? Avez-vous prévu un guide, des instructions, une formation pour garantir son écoconception dans le temps ?
11 – Faire évoluer votre site :
Est-ce que les fonctionnalités sont toujours utiles ? Revue périodique des articles et suppressions de ceux qui ne servent plus, prévoir une date limite de publication sur le site…
Pour d’autres bonnes pratiques, on vous recommande :
- Le guide d’écoconception de services numériques pour les designers,
- Le guide des 115 bonnes pratiques de GreenIT.fr,
- Le référentiel d’éco conception (RGESN) de la DINUM,
- Le GR491 de l’INR.
Les obstacles à l’écoconception en entreprise
Les obstacles à l’écoconception sont souvent dus à un manque de connaissance du sujet. Les décisionnaires sont par conséquent difficiles à convaincre.
Ces derniers se font l’idée que c’est :
- coûteux,
- long à mettre en place,
- pas attrayant.
Que nenni ! On vous explique tout !
La bonne nouvelle quand même, c’est qu’Aurélie reçoit de plus en plus de demandes de projets en écoconception. Les choses s’améliorent donc !
Les arguments pour encourager le passage à l’éco conception
L’éco-conception est bénéfique à plusieurs niveaux :
- Niveau expérience utilisateur : la fluidification du parcours améliore la satisfaction des utilisateurs et utilisatrices.
- Niveau accessibilité : vous pouvez accéder à la plateforme de partout ou presque (en déplacement en train, à la campagne,…).
- Niveau performance : le taux de rebond est réduit. Le site est en effet plus rapide à charger et facilement accessible. Au-delà de 6 secondes d’attente du chargement de la page, l’internaute s’en va.
- Niveau coût : utilisation de moins de ressources et d’infrastructures, moins de développement inutile, moins de travail de maintenance nécessaire, quand on produit moins de contenus. Et tout cela réduit aussi les dépenses.
- Niveau législation : la loi ne va pas vous attendre. En juillet 2022, le décret d’application de la loi REEN a été publié (décret n° 2022-1084 relatif à l’élaboration d’une stratégie numérique responsable par les communes et les collectivités de plus de 50 000 habitants). Pour le moment, pas d’obligation pour l’écoconception dans les entreprises, mais ça arrive ! Alors plutôt que d’attendre que ça se passe, autant prendre les devants et s’y mettre tout de suite. N’attendez pas que les sanctions commencent à tomber. Pour vous y préparer, vous pouvez écouter le 2ème épisode de notre enquête : on y parle lois et référentiels pour un numérique écoresponsable.
Attention au greenwashing. Oui encore lui !L’idée, c’est d’inscrire l’écoconception dans une démarche globale. Le risque, c’est que les entreprises pas ou peu vertueuses se targuent de faire de l’écoconception. Mais elles ne sont pas du tout responsables dans les autres domaines. Elles cachent ce qui ne va pas derrière une bonne action. Et pire, elles en font un élément principal de leur communication. De même, le risque ce sont les entreprises qui ne s’engagent qu’à un niveau pour se donner bonne conscience et qui négligent le reste. Type : “je recycle mes déchets, donc je peux faire 15 allers-retours en avion.” Cela ne veut pas dire être parfait, mais essayer de s’inscrire au maximum dans une démarche globale. Pour être ainsi cohérent à tous les niveaux. |
Le mot de la fin
Trois mots plutôt :
- Se poser des questions sur les implications de nos actes, globalement. Pas uniquement en éco conception.
- Résister à nos automatismes, comme l’achat du tout dernier Iphone par effet de mode. Voici un post sur LinkedIn d’Antoine Defaix qui vous donnera des pistes pour dénumériser vos vies.
- Expérimenter, tester. Tester encore et encore. Pour améliorer nos pratiques et trouver des solutions qui nous conviennent à nous, la société, et la planète.
Les ressources d’Aurélie sur l’éco conception
Parmis les guides et référentiels, vous avez :
- Le guide d’écoconception de services numériques, par l’association Les designers éthiques
- Les livres blanc de l’Agit sur le numérique responsable (2017),
- Le livre sur l’écoconception web de Frederic Bordage et GreenIT.fr,
- Le référentiel d’éco conception (RGESN) de la DINUM,
- GR491,
Voici d’autres ressources hors éco conception, mais toujours branchées numérique :
- L’âge des low tech, par Philippe Bihouix. Vers une civilisation techniquement soutenable.
- Sobriété numérique – Les clés pour agir, de Frédéric Bordage,
- Le site de Gauthier Roussilhe : “Explorer les écosystèmes numériques possibles dans un monde soutenable.”
- Les rapports de l’association SystExt, comme celui sur les controverses minières. Où on se rend compte de l’écart grandissant entre la communication des entités minières et les réalités humaines et environnementales. Catastrophique…
- Le podcast Techologie.
- Entre autres !
Pour creuser le sujet :
Vous avez évidemment toutes les ressources citées dans cet article.
Vous pouvez suivre les activités d’Aurélie et de Designer Ethiques sur les réseaux sociaux (les nôtres aussi si ce n’est pas déjà fait 😉).
Et vous avez aussi le 4ème épisode de notre enquête sur le numérique écoresponsable : communication responsable et éco-conception.