Histoire des entreprises et de leur communication

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Publié le 18 avril 2023

Nous revoilà parties avec une nouvelle enquête ! On se penche cette fois-ci sur l'entreprise de demain. Comment les entreprises vont s'adapter pour continuer à exister dans le monde de demain ? Pour commencer, on s'est intéressées aux évolutions des entreprises et de leur communication. Un épisode qui retrace leur histoire pour mieux comprendre leurs enjeux.

Enquêtes éthiques d'Hippocampe
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Histoire des entreprises et de leur communication - [Focus entreprise de demain - épisode 1]
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Pour poser les bases de cette nouvelle série, on démarre notre premier épisode avec un peu d’histoire. Un retour en arrière pour comprendre les grandes évolutions des entreprises et de leur communication. 

Pourquoi on a créé les entreprises ? Pourquoi est-ce que l’on communique ?

Bref, des questions fondamentales pour mieux cerner les enjeux de l’entreprise de demain.

Pour y répondre, nous sommes accompagnées de :

  • Cyril Masselot, enseignant chercheur en sciences de l’information et de la communication,
  • Andrea Catellani, professeur en communication à l’université de Louvain.

 

Bonne écoute ou bonne lecture avec la retranscription ci-dessous !

 

Plan :

Retranscription épisode 1 : Histoire des entreprises et de leur communication

  1. Introduction
  2. L’entreprise : fondements, emballements et évolution du modèle
  3. Communication des entreprises : vers un tournant responsable
  4. Conclusion

 


Retranscription épisode 1 : Histoire des entreprises et de leur communication

Introduction

Lili [00:00:20] Nous revoilà parties avec une nouvelle enquête. Après l’inclusion et l’accessibilité numérique et le numérique écoresponsable, on s’intéresse maintenant à l’entreprise de demain.

Si on devait brosser le portrait de l’entreprise de demain, à quoi est-ce qu’elle ressemblerait ? En interne comme depuis l’extérieur.

Pour y parvenir, on s’est penchées sur les sujets de gouvernance, de management et de communication.

  • Comment l’entreprise de demain s’organise ?
  • Comment les équipes sont-elles gérées ?
  • Comment se comportent les leaders et les managers (et manageuses) ?
  • Comment est-ce qu’elle communique avec toutes ses parties prenantes ?

Bref, plein de questions intéressantes que l’on a posées à des experts et expertes de ces différents domaines.

Dans cette série, on a rassemblé une grande diversité de profils passionnants et engagés. Une valeur ajoutée énorme pour aborder l’entreprise de demain sous différents angles.

Et puis ça nous motive énormément de pouvoir partager nos découvertes et, qui sait vous inspirer à faire évoluer vos pratiques professionnelles. L’entreprise de demain est bien plus proche de nous qu’on ne le croit.

En fait, elle existe déjà, mais on ne vous en dit pas plus. Vous le découvrirez dans cette enquête.

Lili [00:01:41] Place donc au premier épisode. On commence par le commencement avec les fondements de l’entreprise et de la communication.

  • A la base, pourquoi on a créé les entreprises ?
  • Pourquoi est ce que l’on communique ?
  • Comment tout s’est emballé et comment aujourd’hui, on en arrive à parler de communication responsable, de management bienveillant, d’organisation horizontale ou encore d’entreprise responsable ?

Bref, l’objectif de ce premier épisode, c’est de dresser un portrait de l’évolution des entreprises et de leur communication.

On fait donc un retour en arrière avec un peu d’histoire, expliquée par Cyril Masselot, enseignant chercheur en sciences de l’information et de la communication.

Et Andréa Catellani, professeur en communication à l’université de Louvain. Sans plus attendre, on se lance dans ce premier épisode : histoire des entreprises et de leur communication.

Pour la première partie de cet épisode, on se concentre sur la raison d’être des entreprises, au sens propre. Nous voulions déjà comprendre pourquoi elles ont été créées à la base, avant même de creuser leur évolution responsable et leurs spécificités.

On a donc demandé à Cyril Masselot de revenir sur l’origine de l’entreprise et de retracer avec nous leur histoire.

 

L’entreprise : fondements, emballements et évolution du modèle

Lili [00:02:59] Est ce que tu peux nous dire qu’est-ce que c’est finalement qu’une entreprise qu’on dit classique ? Pourquoi elle a été créé ? Et qu’est-ce que c’est que le but originel d’une entreprise, finalement ?

Cyril [00:03:09] Alors même dans la question déjà, on se heurte à cette question du classique.

Effectivement, on voit bien que quand on pose la question, on se demande un peu ce que ça veut dire quoi concrètement.

En fait, l’entreprise, on a beaucoup de représentations de ce que ça peut être comme monde, et pas toujours les mêmes selon qu’on est dans le secteur primaire, secondaire et tertiaire.

Donc, c’est un peu toujours compliqué d’en parler de manière un peu globale et il faut toujours un peu préciser justement de quoi et de où on parle au départ. D’un point de vue simplement historique, puisque tu posais la question de pourquoi ça a été créé, c’était quoi son but originel.

Faut quand même revenir à un besoin tout bête, qui est un besoin d’échanger. L’intérêt a toujours été de comment je peux échanger ce que moi je sais faire avec ce que mon voisin, lui, sait faire.

Tout d’abord pour subvenir à mes besoins. Donc déjà les besoins primaires. Alors moi, vous allez voir que je vais parler assez souvent de la pyramide de Maslow, parce qu’elle nous permet de nous guider justement et de revenir à des fondamentaux dans nos civilisations.

Et donc, quand on parle de cela, on parle de besoin, justement, et de dire avant tout : on a quand même besoin de pouvoir échanger par rapport à comment je mange, qu’est ce que je mange, où est-ce que je vis, donc comment je suis à l’abri. À l’abri de la pluie, à l’abri du froid, mais aussi à l’abri du chaud.

Comment je fais pour ne pas avoir de problèmes de santé ? Comment je fais pour être soigné ? Comment je fais pour boire de l’eau et qui soit de bonne qualité, etc.

Donc si on prend la pyramide de Maslow, l’idée étant de subvenir aux besoins les plus primaires et au fur et à mesure que l’on monte dans la pyramide, on arrive à des besoins qui sont plus liés à l’épanouissement personnel.

Pour le dire un peu rapidement comme ça. Donc, si on est sur cette idée de pourquoi ça a été créé et son but originel, ça répond en fait à une question d’organisation, entre les humains, de nos activités, et donc de nos échanges.

N’oubliez pas que l’économie avant tout, c’est la question de comment on organise la vie du foyer, comment on organise effectivement la régulation des ressources, les besoins et leur consommation au sein d’un foyer.

Donc, on est quand même sur cette question là de comment on exploite ces ressources là. Après, il y a eu tout ce qu’on peut connaître dans l’histoire sur les grandes entreprises qui ont été liées à la découverte, par le monde occidental, notamment d’autres territoires et d’autres ressources.

Et là, je vous renvoie, on va dire à l’histoire de l’esclavagisme, l’histoire de la des colonisations, des grandes colonisations, etc.

Ensuite, la révolution industrielle qui a boosté le système capitaliste qu’on connaît actuellement, et dont on connaît en fait une forme d’apogée dans cette version ultra libérale dans laquelle nous sommes plongés actuellement, et qui fait qu’on se repose justement des questions un petit peu plus… On va dire plus fondamentales sur ces questions de gouvernance.

Alors, pourquoi je dis ça ?

Parce que dans ses prémisses, on va dire de comment on organise nos échanges, au départ, on a organisé ça de manière plutôt logique. Je précise que je ne suis pas économiste, donc je le dis à ma manière, à moi, avec ce que j’en connais et la manière dont on voit les choses aussi en Infocom.

Mais l’idée était qu’on décide d’organiser nos échanges entre humains d’une manière la plus logique possible. Je dis ça par exemple en prenant…

Parce que j’ai en tête l’expérience qu’on peut vivre dans nos territoires, en Franche-Comté, dans le Jura, en particulier sur les fromages. La filière du comté a montré que pour faire ce fromage là, il faut qu’on se mette ensemble pour le faire. Donc ça, c’est une histoire d’économie aussi, de coopération en fait.

Où il a fallu que techniquement, on se dise pour réussir à faire ce que j’ai à faire, il faut que je le fasse avec mes voisins. Il faut que je me mette d’accord avec eux. Il faut qu’on mette en commun nos produits, nos ressources aussi, et que l’on construise, on va dire, une structure de coopération qui nous permette de produire notre fromage, et bien entendu ensuite de le diffuser, de le mettre en circulation pour que les gens puissent le consommer et que nous, on puisse vivre de notre travail et donc de notre coopération.

C’est comme ça que sont nées les premières coopératives, ce qu’on appelle les fruitières. Donc, en l’occurrence, ici, il y a la production laitière. Mais aussi on a eu le même système avec les fruitières qui sont liées au monde vinicole. Puisqu’on estime que ces premières coopératives sont nées dans cette zone là avec des premiers prémices au Moyen Âge et avec une explosion, on va dire un peu plus tardive.

Bon, alors ça c’est un exemple.

Mais on se rend compte aussi que dans beaucoup d’entreprises, on a pu éventuellement perdre de vue dans nos années actuelles cette idée de répondre à un besoin. En tous cas, un besoin avéré de l’être humain dans son quotidien. Ça, c’est très bien expliqué, en particulier par Noam Chomsky dans La Fabrique du consentement.

Et je vous renvoie aussi au film de Daniel Mermet qui s’appelle Chomsky et compagnie, et dans lequel il retrace un peu ce que je viens de vous dire, sur comment on a influencé au départ l’activité économique et ce que c’est devenu dans le monde actuel.

Lili [00:08:36] C’est assez curieux de constater que l’essence de l’entreprise, le but originel, c’était un souci de coopération. Même un besoin de coopération.

Et ça marque un point de rupture [avec la situation actuelle]. Aujourd’hui, on parle de plus en plus de démission, de silent quiting, de difficultés de recrutement, de rupture en termes de rémunération.

Finalement, est ce que c’est nouveau ? Qu’est ce que c’est ? D’où ça vient et pourquoi on y assiste de plus en plus?

Cyril [00:09:01] Alors oui, c’est assez nouveau ce phénomène.

Effectivement, c’est assez récent, en tout cas à ma connaissance. Alors je dis toujours attention quand on aborde ce genre de sujet. Attention aux visions qui sont un peu centrées sur ce qu’on connait.

C’est pour ça que je rappelais que l’économie en général, mais nos manières de vivre ensemble ne réagissent pas de la même manière quand on est dans le secteur primaire, secondaire ou tertiaire. Parce que effectivement, on parle de plus en plus de démissions et de silent quiting en ce moment.

Mais est ce qu’on entend ça, par exemple chez les ouvriers à la « peug », comme on dit chez nous. C’est à dire à Peugeot. Ou dans une entreprise de découpage industriel ? Ou dans ce genre de monde ouvrier ? Pas vraiment, pas vraiment à l’heure actuelle.

Si j’ai bien tout suivi, c’est un phénomène qu’on repère souvent, plutôt dans le monde des employés, pas dans le monde des ouvriers. Plutôt sur des employés qui sont un peu dans des emplois supérieurs on va dire. Alors des cadres aussi, ou des gens qui sont à des postes plutôt intéressants, on va dire, vu de loin.

Ce qui n’empêche pas qu’il y ait une difficulté exprimée aussi dans d’autres secteurs effectivement, au recrutement. Par exemple dans le bâtiment, la restauration, l’hôtellerie ou une foule de métiers dits pénibles.

Mais en même temps, le contexte nous ramène aussi à ces questions là : qu’est ce qu’on vend à l’heure actuelle aux jeunes ?

Excusez moi de le dire comme ça, mais au sens large. C’est à dire que quand on travaille en statistique sur la population, depuis les années 80-85, on considère qu’un jeune, c’est quelqu’un qui est jusqu’à 34 ans, 35 ans, voilà. Après on commence un petit peu à vieillir.

Qu’est ce qu’on vend aux jeunes à l’heure actuelle ? On leur vend un salaire de misère dans pas mal de métiers. Une retraite, puisqu’on est en plein dans l’actualité, qu’on propose à 64 ans, mais on sait déjà qu’on nous annonce du 67 ans dans les dix ou quinze ans à venir. Dans des conditions sanitaires qui sont déplorables.

C’est à dire que, qu’est ce qu’il va se passer ? On va arriver en retraite, mais malade. Donc comment on va profiter de notre vie ?

Vous avez vu passer, j’imagine, tous les chiffres à l’heure actuelle sur cette question là. Où on explique que 25 % des pauvres, des gens qui sont pauvres, qui vivent sous le seuil de pauvreté, meurent avant 60 ans. 25 % ! Et à côté de ça, on sait que bah effectivement il y a un écart d’espérance de vie de treize ans entre les plus riches et les plus pauvres.

Marine [00:11:34] C’est énorme.

Cyril [00:11:36] C’est énorme. C’est énorme ! Donc à l’heure actuelle, moi je ne suis pas très étonné finalement de voir, et je le constate chez mes étudiants, je le constate chez mes enfants…

Je suis un daron moi aussi hein. Il y a une perte de sens dans notre société. Alors la perte de sens n’est pas si nouvelle par contre.

Ça fait une vingtaine d’années que je la vois, en tout cas dans notre quotidien, y compris dans l’essor du secteur de l’économie sociale et solidaire, qui profite en fait de ce questionnement sur « quel est le sens que je donne à ma vie ? ».

Et qui fait que, à l’heure actuelle, une partie de la population considère que ça ne vaut pas la peine, et que concrètement, le gagne pain ne suffit plus. Ce n’est pas suffisant pour donner un sens à sa vie. Et je pense que ça a été exacerbé par les épisodes de confinement, de Covid qu’on a connus, mais aussi les autres crises que l’on affronte. La guerre en Ukraine, bien entendu.

Elle est plus proche que celles qui se font sur le continent africain. Donc les gens en prennent conscience plus facilement. Malgré ça, on sait que notre monde est en crise. On sait qu’il y a des guerres encore, en Syrie et ailleurs.

On sait aussi que, effectivement, les changements climatiques dérèglent ce qui nous arrive au fur et à mesure, enfin notre quotidien aussi. Qu’on va avoir des épisodes de fortes chaleurs de plus en plus réguliers, des épisodes de tornades, de fortes pluies, des événements climatiques outranciers, forts, plus régulièrement, et sur lesquels il va falloir qu’on agisse.

En tout cas, il va falloir qu’on fasse attention à ça et qu’on s’adapte à tout ce qui pourra exister. Alors je ne vous parle pas des zoonoses, toutes ces maladies qui arrive en tout cas du monde animal, comme la Covid, mais comme d’autres. Le monkeypox, pour ne citer que celui là.

Et tout ça crée une forme d’éco-anxiété. Ce qu’on appelle aussi de la solastalgie. Je ne sais pas si vous connaissez ce terme là… Mais qui revient à cette idée là. Donc le monde à l’heure actuelle, très franchement, moi j’aimerais pas avoir douze ou treize ans aujourd’hui.

Lili [00:13:54] Est ce que tu penses que tout ça a participé à remettre en question le modèle de l’entreprise, cette perte de sens ? Les crises successives ?

Cyril [00:14:01] Ah oui, pour moi, c’est assez clair. Je disais tout à l’heure que le monde de l’économie sociale et solidaire [en] avait profité.

De ce que j’ai vécu, moi sur le terrain, [l’ESS] a profité de ce sentiment depuis une quinzaine d’années, parce que l’on voit justement de plus en plus de candidatures. Alors je répète, de jeunes !

C’est à dire des gens qui ont entre 25 et 35 ans, voire même 40, qui viennent d’un monde, on va dire classique. Vous savez ce qu’on appelle le monde d’avant, c’est à dire des gens qui ont été formés dans les grandes écoles ou dans les universités, de manière très classique, à qui on a appris à être des bons employés et, à vrai dire, à continuer à pérenniser ce monde d’avant.

Et puis qui tout d’un coup se disent qu’est ce que c’est que ce bazar quoi ? Concrètement ? Qu’est ce qu’on est en train de m’offrir et qu’est ce que je suis en train de faire?

Et moi, je suis en train de participer à cette destruction du quotidien. Qui me fait mal, que je regrette, que je voudrais combattre alors que moi, pour l’instant, je suis banquier là. Je travaille aux RH, chez Total. Je travaille dans des entreprises qui… Eh ben stop ! J’arrête et je vais candidater dans des entreprises de l’ESS qui voient les choses autrement. Ou je monte ma propre activité, mais d’une manière coopérative, etc.

En tout cas, j’essaie de changer. Alors tout le monde ne fait pas ça. Mais j’ai ressenti, je vous le dis depuis une quinzaine d’années à peu prêt, un mouvement plus fort dans ce monde là. De gens en tout cas qui font ces démarches là. De création de structures, mais qui vivent les choses autrement et qui veulent organiser justement l’entrepreneuriat différemment entre eux. Donc je pense que ça a participé énormément.

Lili [00:15:56] Finalement, si on devait un peu résumer le défi qu’on a en tête, du moins du point de vue des entreprises, ce serait : comment attirer de nouveaux talents tout en pérennisant financièrement leurs activités ? Mais le faire bien, quoi. Rester éthique et s’inspirer peut-être des modèles ESS et autres.

Cyril [00:16:16] C’est un débat qui est très compliqué, en fait, parce que, encore une fois, quand on parle d’entreprise, de quelle entreprise on parle ?

Ce que tu dis est vrai pour certaines entreprises où on peut aller dans ce sens là, en particulier dans le tertiaire. Si je ne parle que de nous, par exemple en communication, on peut très bien choisir par exemple… alors on peut très bien choisir…

C’est très difficile d’un point de vue économique, en termes de modèle économique.

Mais si l’on décide de ne travailler qu’avec des structures qui se disent éthiquement responsables ou socialement responsables, etc, je ne fais que de la communication pour le monde de l’économie sociale et solidaire par exemple. Bon, pourquoi pas. En sachant que dans ce monde là, il y a aussi à boire et à manger. Parce qu’il y a des gens qui surfent sur la vague et qui se disent ESS mais qui finalement ne le sont absolument pas. Il faut quand même aborder cette nuance.

Mais si on parle d’entreprise, encore une fois dans le secteur ouvrier, secteur primaire, il ne faut pas oublier qu’il y a des gens qui n’ont pas le choix aussi. Des gens qui n’ont pas le choix. Ils ont besoin de vivre, ils ont besoin de sous. Donc le phénomène dont je parlais tout à l’heure, ce n’est pas tout le monde encore une fois. Quand on est dans une optique de ce type là. Donc quand on est dans une civilisation, mais large, parce que ça ne concerne pas que nous.

Là, je parle vraiment des idées des sociétés riches, pour dire ainsi. Où on on met dans la formation avant tout des éléments qui amènent la population à être un bon petit [ou petite] soldat, mais pas à être un bon citoyen [ou une bonne citoyenne], avec un esprit critique et qui a envie de construire la vie ensemble…

On fait un choix politique dès le départ pour que les gens ne réfléchissent pas par eux mêmes et ensuite n’ait plus qu’un seul choix : aller au boulot. Voilà. Et effectivement, il y a toute une partie de la population qui est dans cet esprit là.

Alors là, que leur entreprise soit éthique, soit responsable ou socialement responsable ou ait envie de changer les choses…. Eux, ils s’en fichent. Ce [dont] ils ont besoin, c’est de manger. Rappelez vous ce que disait notre regretté Coluche. Il disait : « Quand même c’est pas vrai qu’il y a 3 millions de chômeurs qui demandent du travail. Non, c’est pas vrai. Ces 3 millions de chômeurs, ils ont besoin d’argent. » En fait ils ont besoin encore une fois de subvenir à leurs besoins de la pyramide de Maslow. Et ils n’ont pas besoin de travail en tant que tel, ils ont besoin d’une activité.

On a besoin d’une activité pour être inséré socialement, ça c’est évident. Et que cette activité là nous permet de nous épanouir individuellement, je le dis bien comme ça, et socialement, voilà. Et que cette activité nous permette de vivre, concrètement. Mais on n’a pas besoin d’un travail au sens de « je suis obligé de louer ma force de travail à justement une entreprise ». Et alors, là encore une fois, si on était dans un monde un peu plus idéal…

La question de l’entreprenariat est importante pour moi. Parce qu’entreprendre, c’est important dans l’idée justement de subvenir à nos besoins et d’améliorer nos conditions de vie au quotidien. Et cet entrepreneuriat là, il ne marche à mon sens, pour l’avoir vécu sur le terrain, que s’il est collectif. Et quand il n’est pas collectif, on arrive au monde dans lequel on est maintenant. Le monde d’avant.

Marine [00:19:52] Finalement par rapport à l’entrepreneuriat, tu veux dire qu’il faut que ce soit une une démarche collective, dans le sens où c’est une entreprise qui emploie plusieurs personnes, ou c’est une entreprise qui se met vraiment dans la démarche de créer un réseau autour d’elle, d’avoir des partenaires, etc. ?

Cyril [00:20:06] Dans les deux niveaux. En fait, c’est à dire que quand je parle d’entreprise collective, ou d’entreprenariat collectif, je serais plutôt dans cette idée là. C’est plutôt l’idée de dire : ensemble on va répondre justement à un besoin et on va avoir le même objectif.

Le problème, à l’heure actuelle, il est souvent celui là, c’est qu’on ne partage plus les objectifs de « à quoi servent les entreprises ? ». Encore une fois, là, j’essaie d’être large, que ça prenne aussi bien le primaire et le secondaire que le tertiaire. Mais quand je suis dans le bâtiment, par exemple, c’est pas rien quand même. Construire des maisons, construire des écoles, construire des édifices publics, c’est pas rien.

Ça sert à quelque chose dans notre société, ça sert aux humains, ça sert à les mettre à l’abri, ça sert à accueillir des activités. Et on peut le faire de la manière la plus écologique possible, la plus sociale possible et faire en sorte que ça se passe bien. Qu’est ce qui empêche que tous les ouvriers qui sont dans cette entreprise là aient le même but, et par l’appropriation de ce but là, participent à ce que l’entreprise marche bien. Que chacun soit entrepreneur dans sa manière d’aborder son activité au quotidien. « Par mon métier, je participe à ». Donc ça veut dire que ce serait logique que je participe aux décisions. Il serait logique que je participe aussi aux gains, que je sois payé à la hauteur de ce que je donne dans ce schéma entrepreneurial collectif, et qu’effectivement il n’y ait pas des disparités extraordinaires.

Ce que je suis en train de vous dire, là, c’est la base des chartes des coopératives. La base des chartes des coopératives, c’est une gouvernance partagée, tournante. C’est une tête, une voie. Une échelle des salaires.

Pourquoi est ce que le dirigeant de Total est payé 3500 fois plus cher que son meilleur ingénieur ? C’est quoi l’intérêt? Pourquoi est ce qu’on ne pourrait pas avoir une échelle qui soit plus resserrée ? Et pourquoi est ce qu’on aurait des gens qui toucheraient 7000, 8000, 10 000 alors que d’autres sont au SMIC ? Ça je ne vois pas la logique concrètement. Alors si on me dit que la logique c’est pour motiver les gens, eh bien motivons les par l’entrepreneuriat, par la raison sociale, par l’utilité sociale de la structure. Et puis il y a bien sûr le côté non lucratif.

Lili [00:22:41] Quand tu parlais du sens des entreprises, ça faisait très écho avec la raison d’être, littéralement la raison d’exister des entreprises. Peut-être que les entreprises devraient passer un peu plus de temps sur leur raison d’être et pas la considérer uniquement comme un outil de communication, mais plus comme l’essence même de leur activité.

Cyril [00:23:04] Oui, exactement. Moi je suis assez d’accord avec ça. À l’heure actuelle, dans la loi de 2014 qui a été portée par Benoît Hamon sur l’économie sociale et solidaire, ils ont réussi à mettre en place un premier processus, qui n’est pas encore complètement satisfaisant, mais qui pourrait être amélioré, qui dit que si on veut être reconnu comme étant une entreprise de l’économie sociale et solidaire, on doit avoir un label qui s’appelle l’ESUS. C’est à dire qui est une reconnaissance en fait, comme tout label, mais qui est une reconnaissance de l’utilité sociale de la structure.

Moi je suis assez porté là dessus. C’est à dire que quand on n’arrive pas à démontrer justement en quoi on est socialement utile à un autre, à l’autre, à notre voisin, aux êtres humains ou aux écosystèmes, pour le dire de manière plus large, et que cette utilité là, elle est effectivement partagée et reconnue, etc… Si on n’y arrive pas, c’est compliqué quand même.

C’est quand même très très compliqué. Il y a même une grille, en fait, si vous voulez, d’auto évaluation ou d’évaluation, avec plusieurs critères d’évaluation. Vous allez me rétorquer « ben oui, mais Total est d’utilité sociale, puisqu’ils font du pétrole, ils font de l’essence qui permet aux gens de se déplacer, d’avoir des loisirs et d’aller au travail ».

Alors attention, est ce que cette utilité là, elle est si utile que ça ? Voilà, on peut les remettre en question, on peut les interroger, et surtout, on doit interroger leurs conséquences sociales et environnementales. Donc c’est pour ça que je parlais d’écosystème tout à l’heure. Donc tout est une question d’évaluation et de reconnaissance collective. Et ce qui m’embête considérablement quand on aborde ces propos là, c’est que nos concitoyens…

Ce n’est pas qu’ils ont perdu, parce qu’ils n’ont jamais vraiment eu cette notion là, mais n’ont pas cette volonté ancrée à participer justement à toutes ces décisions là ou à tout ce qui fait qu’on peut vivre ensemble, très objectivement. On est tous très hypocrites. Moi, je suis très content qu’il y ait des gens qui s’occupent de récupérer mes poubelles une fois par semaine. Sauf que normalement, ce qui devrait se passer, c’est que moi, une semaine par an par exemple, eh bien je devrais ne faire que le ramassage des poubelles.

Une semaine par an, je devrais curer les égouts de ma ville, comme tous les autres. Peut-être qu’une semaine par an, je devrais m’occuper de la gestion de ma commune. Que, une semaine par an, je m’occupe du périscolaire. Alors je sais bien que l’on n’a pas toutes les compétences de partout, mais on peut faire plein de choses, et en particulier ces fameux métiers pénibles.

On est très hypocrite, on ne veut pas les faire, on les laisse effectivement aux gens qui sont par contre les indispensables. Rappelez-vous ce qui s’est passé pendant le confinement. Métiers pénibles. Justement, les gens qui ramassent les poubelles, le facteur, les caissiers, les gens qui s’occupent des personnes âgées dans les EPAD, mais aussi à domicile, les infirmiers [et infirmières] etc, etc je ne vais pas tous les citer, c’est eux les métiers fondamentaux. La France a pu s’arrêter [grâce à eux].

Marine [00:26:20] On a un sentiment par rapport à l’injustice qui est très fort avec Lili. Et en effet, ça le réveille complètement, parce que c’est vrai que tu te rends compte qu’on marche complètement sur la tête.

C’est absurde. Moi, je pense que ce sont des métiers… Les métiers qui sauvent les vies, les pompiers, les médecins, les infirmiers, les infirmières… Ils devraient être payés déjà tellement plus. On ne les valorise pas assez pour tout ce qu’ils font.

Cyril [00:26:40] Mais bien sûr ! Alors c’est pas seulement payer, c’est une question de conditions de travail. C’est plus de vacances. Voilà.

Lili [00:26:48] Mettre à disposition des moyens suffisants pour qu’ils exercent dans de bonnes conditions.

Cyril [00:26:52] Exactement ! Tu as raison. C’est ça, c’est des conditions de travail, c’est du repos, c’est de la considération. Tout ce que je vous raconte, ça peut vous paraître loin par rapport à ce qu’on l’on fait en information et communication. Parce que ça peut paraître étonnant de la part d’un enseignant chercheur en information et communication d’aborder tous ces sujets là.

Mais pour moi, c’est fondamental, parce que ce sont ces sujets là qui m’ont amené en fait à travailler, surtout en recherche, mais aussi en cours, aussi à donner des cours sur comment nous en Infocom, on peut, pour le dire rapidement, on peut accompagner ces changements là.

On peut accompagner ces transitions, on peut aider, on va dire à faire en sorte qu’on ne marche plus sur la tête, et qu’on essaye de reprendre du poids sur la gouvernance de nos vies, et donc fondamentalement redonner du sens à nos vies.

L’idée qui est derrière nos recherches, c’est de dire… Alors j’utilise un slogan, vous m’en voudrez pas, c’est un raccourci de communicant. Un slogan qui se lit dans les deux sens : « on se rend compte, face à cette situation, qu’il faut changer. Pour changer, on est tous d’accord qu’il faut agir. » Il ne suffit pas de dire y’a qu’à, faut qu’on, il faut le faire. Et c’est là où l’infocom prend toute sa place. Nous, en information et communication, on a des compétences qu’on développe, qui sont, premièrement, créer de l’information.

C’est à dire qu’on sait très bien observer le monde qui nous entoure. On a des outils pour ça, on a des philosophies pour ça, on a des méthodes, on a de l’ingénierie, on sait comment observer et transformer notre observation en informations, en connaissances. On sait faire ça, et on sait faire ça de manière collective.

On sait communiquer entre nous. Donc le deuxième volet, pour que collectivement, on construise la meilleure connaissance possible. Et cette connaissance, elle suffit pas toute seule.

Là, qu’est ce que je vais vous citer ? Je vais vous citer « Don’t Look Up », ce fameux film que vous connaissez, j’imagine, où on se rend compte qu’une météorite va écraser la Terre et que tout le monde regarde ailleurs. Y compris les gouvernements qui disent « oh c’est dans six mois, on a le temps, on est large ». Ben non, on n’est pas large. Et là, on est dans cette situation là à l’heure actuelle.

Naïvement, on pourrait croire que si on a la connaissance, tout va changer. Et je vous garantis que non. Même chez mes collègues, j’ai travaillé avec des sociologues encore ces jours ci, qui ont une cinquantaine d’années et qui me disaient : « mais je ne comprends pas comment nos politiques ne tiennent pas compte de toutes nos recherches et de tout ce qu’on démontre ».

Ben c’est « Don’t Look Up », je suis désolé. La connaissance ne suffit pas. Il faut que nous derrière on mette beaucoup de processus de communication pour que ces connaissances là soient diffusées, infusées dans nos sociétés, que nos élus les comprennent, en tiennent compte et en fassent quelque chose. Donc, il faut aussi qu’on les accompagne sur comment on mène ces changements. Et donc là, on travaille beaucoup avec des psychologues et des sociologues notamment.

Comment on mène ces changements là et comment on agit pour que ces changements là soient effectifs ? Donc c’est là où nous en Infocom, on a un rôle super important depuis l’observation, la transformation en informations, en connaissances, en comment on agit et comment on accompagne ces changements là, comment on les observe pour les améliorer et qu’ils soient le plus efficace et plus efficient possible.

 

Communication des entreprises : vers un tournant responsable

Lili [00:30:27] On ne sait pas pour vous, mais cet échange avec Cyril nous a ouvert à de nouvelles perspectives, qui vont d’ailleurs bien plus loin qu’on ne l’imaginait. On est maintenant convaincues que l’entreprise de demain aura du sens ou ne sera pas.

Elle jouera son rôle sociétal ou n’existera tout simplement pas. Ça donne beaucoup d’espoir, et nous, ça nous motive encore plus à continuer de nous investir pour être plus responsables. On l’a vu, ou plutôt entendu, il y a une vague de changements qui touche toutes les dimensions des entreprises et du monde professionnel. On s’est donc demandées quel impact peuvent avoir tous ces changements sur la communication des entreprises.

Pour cela, on a échangé avec Andréa Catellani sur l’histoire de la communication, son origine, les raisons de son épanouissement, ses dérives, et jusqu’à l’émergence de pratiques de communication plus vertueuses.

Lili [00:31:22] Est ce que tu peux revenir avec nous sur les débuts de la communication ? Comment est née la communication qu’on connait aujourd’hui et comment elle est arrivée au sein des entreprises ?

Andrea [00:31:31] La communication a toujours existé dans toutes les sphères de la société. Donc on peut penser à la sphère religieuse, en pensant à la diffusion du christianisme. Le fait économique, évidemment. Le commerce a toujours été lié à la communication. La sphère politique avec la communication des États, la mise en scène des rois par exemple, et des puissants.

Donc la communication est et a toujours été support, expression du pouvoir, des institutions, mais aussi parfois critique des institutions existantes. Alors, plus récemment, évidemment, on peut voir des changements importants dans cette histoire très longue, avec l’apparition des médias, et avant, avec la révolution industrielle, donc l’apparition de l’entreprise moderne, la communication suit, exprime, les institutions qui se développent comme l’entreprise moderne contemporaine et parfois la critique aussi.

Donc, la communication est là aussi, par exemple dans des associations, dans les mouvements sociaux et évidement dans les gouvernements. Donc là, je voulais donner un exemple de cette évolution. Au XIXᵉ siècle, les grandes entreprises se constituent en Europe, en Amérique du Nord.

C’est l’époque où se développe le premier département des relations avec la presse, parce qu’il y a ce pouvoir important de la presse, et donc l’importance de développer des relations, de bonnes relations, avec la presse. La Presse Agency comme on l’appelle aux Etats Unis. Et de l’autre côté, il y a des journalistes, qui s’appelaient à l’époque « fouilleurs d’ordures », voilà, une expression un peu bizarre, mais pour dire qu’ils cherchaient à mettre en évidence les méfaits du système économique de l’époque, les conditions de vie des travailleurs parfois très difficiles.

Et donc, il y avait cette situation où la communication se développe, d’un côté sous forme de journalisme d’investigation, de l’autre côté, sous forme de relations avec la presse. Au début du XXᵉ siècle, il y a le développement des premières agences de consultance. À l’époque, on l’appelait la « publicity » aux Etats Unis. Mais ce n’est pas seulement un phénomène américain.

Donc, en Europe aussi, il y a le développement de ces départements, de ces personnes dédiées à la communication. Et évidemment, en parallèle, il y a le développement de la communication au niveau des gouvernements et au niveau politique, des partis politiques à l’occasion des élections, et pas seulement.

Puis au XXᵉ siècle, il y a le développement de la société de consommation, notamment à partir des années 20, et le développement de la publicité. Et puis là, le développement plus précis, plus spécifique des techniques des relations publiques, des « public relations ». Et phénomène important de cette époque, la rencontre avec les sciences humaines et sociales. C’est à dire que les gens qui s’occupent de la communication se mettent à utiliser les résultats des sciences humaines et sociales. Et on n’a pas arrêté de faire ça.

Et en parallèle, il y a eu l’évolution de la communication politique. Donc c’est une histoire très longue. On est arrivé après à l’Internet, on est arrivé à ce qu’on appelait à un certain moment à l’Internet 2.0. En tout cas les réseaux sociaux numériques, les médias sociaux numériques. Le développement dans le sens de la mobilité, de l’Internet, etc. Donc la situation actuelle où la communication s’est développée, s’est spécialisée.

Il y a beaucoup de différentes spécialisations dans le domaine de la communication. Mais j’aime bien replacer cette histoire récente, la situation actuelle disons, dans le temps long. Donc c’est un chaînon d’une longue évolution, là, ce que nous avons sous les yeux. Le monde, au delà des professions de la communication d’aujourd’hui.

Et dernier point. Il ne faut pas oublier, comme je le disais tout à l’heure, la contre histoire, comme certains auteurs l’ont appelée, des relations publiques, c’est à dire l’histoire des mouvements sociaux. Par exemple, le mouvement pour la tempérance contre l’alcoolisme aux Etats Unis au XIXᵉ siècle, puis les mouvements pour les droits civiques aux Etats Unis, toujours dans les années 60.

Et puis le développement en Occident de l’environnementalisme, des grandes associations environnementalistes, qui ont été de très grandes actrices, on peut dire de la communication, de la communication stratégique, des relations publiques. [Comme] Greenpeace et bien d’autres. Jusqu’à arriver aujourd’hui à l’époque de l’Internet et des réseaux sociaux numériques, avec tout ce que nous connaissons de sophistication dans ce domaine de communication, de sensibilisation, des collectes de fonds, de militants, qui existent aussi.

Donc, il ne faut pas l’oublier, quand on parle de l’évolution de la communication, de relations publiques ou de la publicité.

Lili [00:36:34] Du coup, ma question suivante c’est par rapport aux mauvaises pratiques d’aujourd’hui. On parle beaucoup de greenwashing, d’infobésité, etc. Est ce qu’il y a des facteurs principaux qui ont fait que la communication s’est d’emballée au niveau de ces mauvaises pratiques ?

Andrea [00:36:49] Il n’y a pas eu vraiment d’époque dorée de la communication, donc une sorte d’époque mythique où la communication des organisations, des entreprises était, comment dire, sans défauts, et puis après, il y aurait eu une dégénérescence jusqu’à arriver aujourd’hui.

En fait, chaque époque que j’ai rapidement citées a vu ses critiques des pratiques de communication, et la critique de formes de propagande ou de manipulation. Si vous me permettez, on peut remonter jusqu’à la Grèce ancienne. Donc Platon, qui critiquait les sophistes, donc le philosophe Platon qui disait que ces rhétoriciens qui se mettaient à disposition dans les polices dans les villes grecques étaient critiquables, parce qu’ils ne respectaient pas les principes de la vérité et ils argumentaient contre le même sujet.

Voilà, donc il y avait déjà des sceptiques, des critiques à cette époque là. On peut trouver des antécédents des phénomènes contemporains : des fake news, l’intox, des gens au long de l’histoire.

Au début du XXᵉ siècle, par exemple, il y a les critiques adressées au premier consultant, antécédent des relations publiques, comme je le disais, la publicity comme on l’appelait à l’époque. Donc, par exemple, Ivy Lee, qui était l’un des premiers qui sont devenus des consultants autonomes pour le compte des grandes entreprises.

Et donc ils étaient déjà critiqués à l’époque pour certains de leurs pratiques, de leur choix. Je citerais aussi les critiques du philosophe allemand Jürgen Habermas par rapport aux relations publiques en général, qu’il considérait grosso modo comme une déformation de l’espace public et de la discussion démocratique, parce que c’est une forme de communication stratégique qui met en évidence très fortement certains intérêts par rapport à d’autres parties de la société. Donc, il était très critique par rapport à ces pratiques.

L’évolution technologique, évidemment, rend plus facile certaines pratiques, les rend plus rapides, plus visibles, plus efficaces peut-être parfois. C’est l’exemple des rumeurs, donc la production des fausses informations, des fausses informations qui parfois sont involontaires et parfois sont volontaires, sont planifiées.

Par exemple, on l’a vu, selon certains auteurs, on a vu des polémiques, des accusations pour déstabiliser les démocraties au moment des élections. Autre phénomène contemporain assez troublant, c’est ce qu’on appelait la stratégie de doute ou la création de l’ignorance à propos de phénomènes, comme les effets du tabac sur la santé. Ou alors plus tard la réalité et les effets des changements climatiques pour retarder la prise de conscience et l’action contre le changement climatique.

Donc la création du doute autour des résultats scientifiques. Donc des stratégies parfois très sophistiquées, jusqu’à arriver à ce que vous citez : le greenwashing, mais aussi le social washing, c’est à dire le fait de se donner une bonne image sur le plan des pratiques concernant l’environnement ou alors les rapports sociaux. Donc la mise en scène d’une bonne image.

Alors je ne veux pas dire que l’histoire ne change pas, qu’il n’y a pas de révolution ou des changements radicaux, mais en tout cas, ce sont des nouvelles formes de réalités anciennes. Donc la communication a toujours été malheureusement le lieu de la recherche de la vérité d’un côté, mais aussi le lieu de la ruse, de la stratégie trompeuse et de la stratégie pour manipuler, pour tromper l’adversaire.

Un plan militaire, mais pas seulement. Donc voilà, c’est toujours un monde mélangé, où on trouve des pratiques différentes. Aujourd’hui, on parle de fake news, de mésinformation, de désordre informationnel. Et on parle de greenwashing parce que, notamment concernant le greenwashing, pourquoi on en parle beaucoup ? Parce qu’effectivement, l’environnement, la protection des conditions d’habitabilité de la planète est devenue un enjeu crucial. Et donc forcément, ça devient aussi malheureusement l’occasion de cette tromperie, de ces stratégies de ruse, de mise en scène, qui ne respectent pas toujours la vérité. D’où le phénomène de greenwashing qui a été appelé comme ça, qui existe depuis quelques dizaines d’années, mais qui malheureusement reste d’actualité d’une façon ou d’une autre.

Lili [00:41:10] Ces derniers temps, peut-être ces dernières années, on voit que les entreprises s’emparent de plus en plus de la notion de responsabilité et d’engagement, des politiques RSE, raisons d’être et autres.

Et du coup, on se demande quelles ont été les influences pour ce qu’on considère être un tournant responsable de la communication ? Mais finalement, c’est là depuis toujours d’après ce que tu nous dis.

Andrea [00:41:32] Oui, alors il y a effectivement des évolutions. De nouveau, je ne veux pas donner l’impression que l’histoire est un long fleuve tranquille, où rien ne change.

Depuis toujours, il y a dans les différentes conditions sociales, technologiques, historiques, etc, une recherche de la parole vraie. Et la parole solidaire, vraie d’un côté dans toutes les sphères, en opposition justement aux pratiques de ruse, des déceptions, etc.

Mais si on arrive au début du XXᵉ siècle, on peut citer la déclaration des principes diffusée par Ivy Lee, que j’ai déjà cité. Donc un des premiers consultants, disons indépendants, dans le domaine de ce qui va devenir après les relations publiques. Donc, ce personnage historique bien connu, à un certain moment, diffuse cette déclaration en disant « ma pratique de communication n’est pas, justement, une pratique contraire à l’éthique.

C’est une pratique dans l’intérêt du peuple américain, dans l’intérêt du public, etc ». Donc, à ce moment là, on est, je pense, autour de 1904-1906. Il y a déjà cet effort. Et puis l’histoire continue. Par exemple, le code d’Athènes, qui a promulgué en 1965, par l’impulsion du Français Lucien Matrat et qui exprime cette tradition humaniste des relations publiques après la Deuxième Guerre mondiale.

Cette idée de construire une forme de communication qui permet aux entreprises de prospérer, tout en valorisant l’humain, donc en mettant au centre les droits de l’Homme [et de la Femme], les droits de l’Humain, qui avaient été promulgués justement après la Deuxième Guerre mondiale. Et il y a d’autres auteurs [et autrices]. Là ce sont seulement des exemples. Donc on a eu la production de codes de la part d’associations professionnelles.

Aujourd’hui, il y a par exemple tous les codes au niveau national. Et puis le code de la Global Alliance, qui est la grande association au niveau mondial des professionnels dans le domaine de la communication. Je parle surtout des relations publiques. Évidemment, on pourrait parler aussi de l’évolution de la publicité. Donc la recherche de professionnalisme et d’éthique est une constante.

Un peu aussi pour lutter contre la mauvaise image que parfois, ces métiers de la communication, de la publicité, des relations publiques ont auprès des publics. Donc cette image, un peu de propagandisme, ou des professionnels [et professionnelles], des praticiens [et praticiennes] de la manipulation. Donc par opposition à ça, il y a cette recherche à travers les codes, à travers des formations, etc, d’une éthique et l’expression communication responsable, qui s’est un peu affirmée en France dans les dernières années.

Je pense par exemple au guide de la communication responsable de l’agence gouvernementale ADEME, qui est une nouvelle occurrence, on pourrait dire, de cette longue histoire dans les conditions qui sont les nôtres aujourd’hui. Donc effectivement, il y a du nouveau. Je ne vais pas dire qu’il n’y a pas de nouveau. Et c’est important que les professionnels [et professionnelles] fassent cet effort. Je pense qu’après la société, le pouvoir politique, législatif a aussi quelque chose à faire pour normer, pour mettre des normes. Les choses doivent aller ensemble. Donc l’effort des professionnels [et professionnelles] pour s’autoréguler d’un côté, et l’effort de la société pour réguler ces métiers, ces professions.

Marine [00:44:55] Tu penses qu’on en est où en fait, avec toutes ces évolutions, ces changements, vu ce qui est en train de se passer dans le monde, où on assiste quand même à un tournant vers une communication, ou du moins une volonté d’une communication plus responsable ?

Concrètement, est ce qu’on tend quand même vers du mieux ? Et sinon, qu’est ce qu’il y aurait à faire de la part justement des acteurs [et actrices], type les communicants, les communicantes, mais aussi le gouvernement et la législation ?

Andrea [00:45:20] Alors, moi je pense qu’il y a effectivement des forces qui agissent pour nous, pour améliorer, pour rendre plus compétent aussi sur le plan éthique, les communicateurs [et les communicatrices].

Donc c’est important qu’il y ait des codes. C’est important qu’il y ait des formations, parce que parfois les codes ne sont pas connus et pas utilisés par les professionnels [et professionnelles]. Donc, les professionnels se forment à travers, par exemple des formations données par des institutions comme l’ADEME, ou les différentes associations professionnelles. Il y a ce guide, il y a d’autres documents qui peuvent être utilisés. C’est un effort qui doit continuer.

Comme je disais, il y a d’un côté cet effort d’autorégulation des professions de la communication, qui fait partie de la professionnalisation de la communication. C’est à dire que les métiers de la communication peuvent améliorer la nature de [leurs] professions, rendre ces professions complètes, justement en développant cet aspect éthique et cet aspect de responsabilité, de prise en compte de leur responsabilité de façon formelle, de façon vraiment approfondie. Et de l’autre côté, je pense que devant les enjeux de l’Anthropocène en général et de notre société, il y a aussi un besoin de législation, de normes, pour mettre des balises, pour orienter aussi l’activité économique et l’activité des professionnels [et professionnelles].

Donc voilà, je n’entre pas dans les détails, mais en tout cas, je pense que ces deux choses vont ensemble. On ne peut pas seulement laisser les métiers s’autoréguler, il faut aussi un encadrement légal. Il faut une orientation. Personnellement, je trouve par exemple qu’on pourrait intervenir dans le domaine de la publicité pour limiter les publicités des produits plus polluants, des produits qui émettent plus de gaz à effet de serre. Donc ça, c’est un exemple où la législation, à mon avis, devrait intervenir.

Et ça ne signifie pas abolir la publicité. Ça signifie l’orienter fortement dans un sens nécessaire pour justement défendre les conditions d’habitabilité de la planète. Donc je suis pour une action commune entre l’autorégulation et l’action législative, qui est donc démocratique. Action qui est faite via les institutions démocratiques de nos sociétés.

Lili [00:47:44] Si on fait un peu un état des lieux d’où on en est aujourd’hui, il y a quand même de plus en plus de diplômés qui prennent la parole sur le sujet. On a par exemple AgroParisTech ou autre.

On a aussi de nouveaux besoins qu’on voit sur le marché du travail. Les jeunes diplômés, nouveaux talents qui ont un besoin d’engagement des entreprises. Et aussi du côté des consommateurs et consommatrices. Elles ont aussi besoin que les entreprises s’engagent comme elles, et sur des actions plus responsables et plus engagées.

Et les consommateurs ont aussi besoin de transparence. Donc est ce que tu considères qu’il y a quand même une prise de position des entreprises dans leur engagement, et du coup leur communication ?

Andrea [00:48:23] Alors concernant les jeunes, en tout cas les jeunes qui entrent dans le monde professionnel, je suis très content qu’il y ait effectivement cette tendance à l’engagement, à prendre en considération ces valeurs. Et j’ai l’impression que malheureusement, pour l’instant, ce n’est pas généralisé.

Donc ça concerne une partie des personnes qui entrent sur le marché du travail. Il y a des recherches de sociologie, etc, qu’on peut consulter pour voir qu’en fait, la jeunesse est quand même variée, dans un pays comme la France. Donc il y a différentes tendances. Mais il y a cette tendance qui existe aussi et qui est très encourageante et très intéressante, qui va questionner entre guillemets, de l’intérieur, les organisations, le monde économique, et puis en général la société. Donc ça, c’est très bien.

Concernant ce que les entreprises font, comme je le disais au tout début, c’est une situation mélangée. C’est à dire qu’évidement, il y’a cette centralité aujourd’hui de la responsabilisation sur le plan environnemental par exemple. Donc la nécessité de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, de diminuer la pollution, de recycler, de diminuer les flux d’énergie et de matière, etc. Donc c’est une exigence générale.

Et puis, devant cette exigence et devant les portes parole de cette exigence, donc la partie de la population qui est désormais très sensible à ces sujets, les gens qui vont parfois acheter sur la base de ces critères, les gens qui questionnent, les associations, les mouvements, etc… Devant tout ça, il y a beaucoup d’entreprises, il me semble, même si je ne suis pas un expert total sur le sujet, mais en tout cas qui vraiment se mettent en mouvement, se mettent en transition et qui commencent à intégrer des objectifs de cet ordre.

Donc d’ordre par exemple environnemental, en s’inspirant par exemple des ODD, donc des objectifs de développement durable des Nations Unies, et de toute une série d’autres documents et outils qui existent, de certaines normes ISO, etc qui existent. Donc il y a ce mouvement. Ce mouvement existe.

[On] pourrait s’interroger : est ce que c’est un mouvement suffisant ? Est ce que ce que les entreprises font est suffisant ou pas par rapport aux enjeux qui sont les nôtres, que nous lisons dans des rapports, par exemple du GIEC, sur l’état du climat, ou de l’IPBC sur l’état de la biodiversité, etc. Donc le mouvement existe. Après on peut s’interroger sur sa vitesse et sur sa profondité.

Et malheureusement, il y a le phénomène effectivement de greenwashing. Donc des cas où l’affichage est plus important que la réalité. Et donc il y a des effets, un peu de ruse, des stratagèmes, plutôt que des stratégies, pour reprendre le titre d’un article de quelques collègues, où on affiche une image justement pour se rendre acceptable sur le plan social, pour se vendre et pour se justifier sans qui l’action derrière soit vraiment importante. Alors il faut effectivement lutter contre le greenwashing.

Les jury de déontologie ou d’éthique publicitaire des différents pays peuvent être importants. La législation a un rôle à jouer. Et évidemment, la pression des consommateurs est importante, surtout à notre époque, à l’époque des réseaux sociaux numériques, de la possibilité de se mobiliser rapidement, de faire circuler la critique rapidement. Donc, c’est aussi des formes de pressions pour chercher à orienter le monde économique de façon de plus en plus forte vers une réelle transition, vers une réelle diminution, par exemple, des émissions de gaz à effet de serre.

 

Conclusion

Lili [00:52:10] Voilà pour ce premier épisode. Un épisode qui retrace l’histoire des entreprises et de leur communication, qui interroge leur raison d’être à l’origine et pose les défis pour l’entreprise de demain.

On vous donne rendez-vous dans le deuxième épisode de cette série, où l’on rentrera dans le cœur de l’entreprise, son épanouissement et celui de son écosystème. En effet, on explorera l’état actuel du marché du travail, du monde de l’entreprise et même du management. Là encore, un sacré programme pour poser les bases de cette série sur l’entreprise de demain.

A très vite. Merci beaucoup !

 

 

Hippo’dcast, un podcast qui vous plonge dans nos enquêtes sur l’éthique en entreprise et sur le web.

 

Réalisé avec bienveillance par Lili et Marine de l’agence web Hippocampe, une agence en pleine transition éthique.

 

Et voilà pour ce premier épisode ! 

Vous en avez pensé quoi ? Et surtout, qu’est-ce que vous retenez de ces interventions ?

La série continue avec l’évolution de notre rapport au travail et à l’entreprise.

A très vite !

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