Lois et référentiels du numérique écoresponsable
Lois et référentiels du numérique écoresponsable
Publié le 03 octobre 2022
C’est au tour du deuxième résumé de notre série sur le numérique écoresponsable de sortir. On y présente les lois, les normes et les référentiels cités par nos intervenants et intervenantes. On fait aussi le point sur la situation numérique en France et dans le monde.
Plan du résumé :
Histoire et évolution du cadre légal en France
Indices de réparabilité, de durabilité et obsolescence programmée
Référentiels pour un numérique écoresponsable
Etat des lieux du numérique écoresponsable en France, en Europe et dans le monde
Coopération internationale pour un numérique plus écoresponsable
- Les actions à l’échelle européenne
- Le problème international de l’obsolescence logicielle
- Et le covid dans tout ça ?
- Comment faire avancer les choses ?
Histoire et évolution du cadre légal en France
Lois sur le numérique écoresponsable
En France, l’histoire du cadre légal du numérique écoresponsable commence avec les questions d’obsolescence programmée.
Loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte :
- Introduit le délit d’obsolescence programmée. Elle punit au pénal les éditeurs et les constructeurs, si la volonté d’obsolescence des équipements induite par le logiciel, par le système d’exploitation ou par le firmware peut être justifiée.
- Exemples d’entreprises sanctionnées : Epson, Apple.
Loi Agec de février 2020, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire :
- Introduit la réduction, notamment des déchets, l’allongement de la durée de vie des produits, l’indice de réparabilité, …
- Pose les grandes bases de la réduction de l’empreinte environnementale du numérique,
demande aux fournisseurs d’accès Internet d’informer leurs abonnés de la quantité de données consommées et de son équivalent en émissions de gaz à effet de serre, - Crée les Services Publics Écoresponsables (SPE) lancés en février 2020 par l’ancien Premier ministre, Edouard Philippe. Elle porte sur la réduction de l’empreinte environnementale des services publics sur tous les sujets : mobilité, alimentation, numérique,…
- Parmi les mesures côté numérique :
- promotion du réemploi et l’achat pour la commande publique de 20 % d’équipements numériques reconditionnés,
- mise en place de la visioconférence pour réduire les déplacements des agents, (c’était avant le Covid, donc plutôt visionnaire),
- IT for Green : le numérique pour réduire l’impact des autres secteurs,
sensibilisation des agents publics aux achats tenant compte des questions environnementales.
Loi sur la Réduction de l’empreinte environnementale du numérique, de novembre 2021 :
- Articles sur la sensibilisation des étudiants et étudiantes, des ingénieurs, sur l’impact du numérique, sur l’écoconception, etc.
- Sujets sur la mesure de l’empreinte numérique, sur la création d’un observatoire du numérique en France,
- Mesure pour rendre facilement applicable le délit d’obsolescence programmée, en renforçant la prise en compte de l’indice de réparabilité,
- Disposition complémentaire qui confère à l’Arcep le pouvoir de collecter les données relatives à l’impact environnemental du numérique auprès des acteurs du numérique,
- Impact sur les collectivités locales (article 35, en attente de son décret d’application) : celles de plus de 50 000 habitants vont avoir l’obligation d’avoir défini une stratégie numérique responsable au plus tard le 1ᵉʳ janvier 2025.
Loi 3DS, février 2022, relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et la simplification :
- Modifie le code de la propriété des personnes publiques pour faciliter le don. Elle permet de lever certaines contraintes pour vendre, notamment à des associations à but d’intérêt général,
- Pas encore effective, mais elle va fixer par décret un prix solidaire qui va autoriser la revente de biens mobiliers publics donnés par l’Etat. Dont les dons informatiques, représentant 40 % des dons de l’Etat,
concerne la fin d’usage et facilite l’allongement de la durée de vie des équipements.
A savoir : La différence entre article de loi et décretLes articles de loi établissent les principaux objectifs des lois. C’est le sens que le législateur veut leur donner. Ensuite, les décrets d’application décrivent comment mettre en œuvre et contrôler ces articles point par point. C’est la mise en place de la loi. Exemple : Sur l’indice de réparabilité, les décrets expliquent comment le mettre en œuvre, le calculer, etc. Ce qui ne figure pas dans l’article de loi. |
Indices de réparabilité, de durabilité et obsolescence programmée
Obsolescence programmée
L’obsolescence programmée est un acte qui peut être réprimé via des articles du code de la consommation.
Grâce notamment à la loi de transition énergétique de 2015 et la loi de novembre 2021 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique.
On arrive à une définition actuelle au niveau législatif relativement simple et plus facilement applicable :
« L’obsolescence programmée se définit par l’ensemble des techniques, y compris logicielles, par lesquelles le metteur sur le marché d’un produit vise à en réduire délibérément la durée de vie. Ce délit est puni d’une amende de 2 ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende. Le montant de l’amende peut être porté de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement, à 5 % du chiffre d’affaires moyen annuel. »
– Texte de loi cité par Agnès Crepet
Après, comment est appliquée la loi ?
Ce n’est pas forcément simple. Il y a peu de cas d’application, parce qu’il faut se saisir d’un cas. Et peu de gens le font.
Cela dit, si on le fait, ça peut prendre du temps, mais ça fonctionne !
D’où l’importance du travail fournit par des associations comme HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée) :
- A permis de mettre Epson en cours d’instruction,
- A porté plainte en 2017 sur les téléphones iPhone 6, 6S, etc. En raison d’une mise à jour problématique qui impliquait un délit d’obsolescence.
Indices de réparabilité et de durabilité
Ce sont des affichages environnementaux à l’achat. Ils reposent sur plusieurs critères environnementaux : facilité à démonter un équipement pour le réparer, disponibilité des pièces détachées,…
Leur objectif : modifier les comportements de consommation.
En l’affichant les constructeurs peu responsables et en aidant ainsi les consommateurs et consommatrices à choisir des produits plus réparables et durables.
Leur impact : les constructeurs sont poussés à faire des efforts pour améliorer leurs notes. Par exemple, Apple a travaillé sur la réparabilité de ses produits, sur la mise à disposition de produits et de composants de rechange, comme les batteries, etc.
L’indice de réparabilité :
Il vient de la loi sur l’économie circulaire de février 2020. Il est valable depuis le 1ᵉʳ janvier 2021.
- Poussé et contrôlé par l’ADEME
- Les revendeurs sont obligés de l’afficher.
- Vous le retrouvez dans les boutiques physiques et en ligne, pour les produits électroniques : smartphones, ordinateurs portables, lave-linge, tondeuses à gazon électrique, …
- Il a des limites : l’indice est calculé par le constructeur lui-même. Donc il n’y a pas de tiers de confiance pour l’instant. C’est tout même un premier pas.
- Bonne nouvelle : la France est pionnière sur ce sujet. L’indice de réparabilité est scruté à l’échelle européenne et internationale.
- Pour en savoir plus, vous pouvez consulter la tribune de HOP sur l’indice de réparabilité.
L’indice de durabilité :
- Il arrive en 2024.
- Il est en cours d’étude actuellement. Un groupe de travail va se monter au niveau des ministères, des acteurs, actrices et des opérateurs pour définir ce nouvel indicateur.
- Il se repose sur l’indice de réparabilité et va le remplacer.
- Plus large que l’indice de réparabilité, il comprendra des critères plus pertinents pour évaluer la durée de vie d’un produit : sa fiabilité, sa robustesse, etc.
Les acteurs et actrices derrière les réglementations sur l’obsolescence programméeCôté entreprises, vous avez les avant-gardistes. Une typologie d’acteurs et d’actrices qui essayent de pousser les choses. Comme Fairphone, Crosscall, Commown… Des entités qui mènent des campagnes de lobbying. Par exemple, faire en sorte que la garantie de tous les téléphones passe à 5 ans (minimum). Commown est une coopérative d’activités française. Elle ne vend pas, mais loue des téléphones durables (marques Crosscall, Fairphone). Sa mission : œuvrer pour des appareils électroniques plus responsables et plus durables. Dans le monde associatif, vous avez Les Amis de la Terre, HOP, … Au niveau européen, il y a le « Right to Repair Mouvement ». Pour pousser les consommateurs, les consommatrices et les fabricants d’appareils électroniques à faire en sorte que les appareils soient plus réparables, et non pas que recyclables. Et puis après, il y a le Gouvernement, le Sénat ou l’Assemblée Nationale. Ils proposent des lois, reprises (ou non) par la suite. Ensuite, leur application se fait du côté de la justice. |
Référentiels pour un numérique écoresponsable
Les référentiels existants
Vous avez toutes les normes sorties dans le cadre de la Mission Interministérielle Numérique écoresponsable.
Des guides et référentiels réalisés en collaboration avec l’Institut du Numérique Responsable, EcoInfo du CNRS, l’ADEME, des ministères, comme le ministère de la transition écologique. Il y a pas mal d’acteurs et actrices académiques, institutionnels, mais aussi privés et associatifs.
Ainsi, vous avez :
- Le guide des achats numériques responsables :
- Vu que l’impact environnemental du numérique est surtout dû à la fabrication des équipements, et qui dit fabrication, dit achat.
- Le guide de bonnes pratiques numériques responsables :
- Englobe toutes les bonnes actions et les bonnes pratiques à l’échelle d’une organisation.
- Objectif : avoir le maximum d’impact sur tous les sujets liés au numérique, que ce soit l’achat, les usages, la stratégie, la gouvernance, la conception de services numériques, le centre de données, les usages cloud, la fin de vie, le réemploi, la gestion des D3E (les déchets d’équipements électriques et électroniques), etc.
- Le guide de référence de conception responsable de services numériques, le GR 491 :
- Emis par un Think tank qui a réunit plusieurs types de contributeurs et de contributrices, aussi bien des grandes sociétés, TPE, PME, que des associations, collectivités…
- Le référentiel général d’écoconception de services numériques (RGESN), 2021 :
- C’est un engagement de la feuille de route gouvernementale « Numérique et Environnement » publiée en février 2021.
- Il s’agit juste de l’établissement et non pas de la mise en œuvre. C’est donc à titre indicatif. Il n’y a pas de contraintes législatives pour l’instant (même si elles sont à prévoir).
Dans la famille des référentiels, je voudrais…Le RGESN vient compléter la liste des référentiels:
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L’idée, c’est de tous les mettre en place pour vous inscrire dans une démarche globale de numérique responsable.
Mais plutôt que de voir une montagne énorme et partir en courant, on vous conseille de prioriser. Vu que le RGPD et l’accessibilité sont obligatoires, vous pouvez commencer par là. Et ensuite, place à l’écoconception et tout le reste.
Voici d’autres référentiels, hors axe législatif :
- Les 115 bonnes pratiques du collectif Green IT :
- Le pionnier en matière de guide sur l’écoconception web,
- Très intéressant, notamment pour les développeurs et développeuses,
- Il en est déjà à sa 4ème édition !
- Les règles de qualité web Opquast (Open Quality Standard) :
- Ce sont des règles dédiées aux professionnels et professionnelles du web,
- Vous retrouverez des volets UX, SEO, performance, etc., mais aussi des volets liés à l’impact du numérique.
- I fix it :
- Site américain,
- Référencie certains appareils électroniques avec leur propre référentiel de réparabilité (qui va assez loin)
- Mesure la facilité à ouvrir le device, à changer des composants, le réparer, vérifie la documentation,…
- On peut trouver toutes les marques classiques du marché.
- Et vous avez des guides pour réparer vos appareils !
- Eco rating :
- Lancé en mai 2021,
- Initiative de 5 opérateurs : Deutsche Telekom, Orange, Telefónica (sous les marques O2 et Movistar), Telia Company et Vodafone.
- L’objectif : avoir un label en Europe pour identifier les smartphones les plus durables et responsables.
- Ne se limite pas à la réparabilité : durabilité, recyclabilité, substances restrictives ou dangereuses, recyclabilité des matériaux, packaging et accessoires,…
- Certification TCO :
- Certification internationale de durabilité pour tous les produits IT
- Inclut un champ très large de critères, à la fois environnementaux et sociétaux
- Garantit en gros que la production de l’appareil, son usage et son recyclage vont bien se passer
- Blue Angel Certification :
- Certification allemande,
- La plus ancienne (existe depuis la fin des années 70) ; elle est très connue en Europe,
- Mesure la protection environnementale et de tous les consommateurs,
- Permet à ces derniers d’avoir un point de vue sur la durabilité, mais aussi sur le niveau d’énergie, les radiations électromagnétiques, les substances dangereuses… du produit
- Fair Trade certification :
- Pour l’aspect sociétal derrière tous les matériaux utilisés.
- Permet de garantir un niveau standard des conditions de travail des personnes qui vont extraire les minerais, récolter les fèves de cacao, etc.
Autres initiatives pour accompagner les entreprises vers une transition numérique écoresponsableEn plus des guides et référentiels, il y a des appels à manifestation d’intérêt, par exemple sur le verdissement du numérique. L’ADEME a lancé un programme CEE (Certificats d’Économie d’Énergie) sur la sobriété numérique pour accompagner cette démarche. Elle lance des appels à projet, ouverts à toutes entreprises et même aux institutions:
L’ADEME reçoit aussi des candidatures « spontanées », en dehors des cadres généraux. Enfin, elle lance des appels à financement (ex : PERFECTO). Donc il y a des subventions et des aides à aller chercher pour les entreprises sur ce sujet. |
La loi a-t-elle un réel impact ?
Oui, la loi a un réel impact en obligeant les gens à changer de comportements et en affichant les mauvais élèves.
Par exemple, si un fabricant de smartphones obtient une mauvaise note à l’indice de réparabilité, ses produits sont considérés comme non réparables. C’est clair pour les consommateurs et les consommatrices : le téléphone ne va pas durer. Donc ils et elles ne l’achètent pas.
Mais la loi a ses limites. Souvent, elle n’est pas tenue et met du temps à être réellement appliquée.
Et puis, les personnes en charge des applications doivent faire face à beaucoup de compromis.
Typiquement, l’indice de réparabilité, c’est souvent de l’auto-notation. Le fabricant de téléphones se donne sa propre note. Donc si personne ne contrôle, il peut faire en sorte de se donner une bonne note.
Mais, c’est quand même louable. Sans la loi, il ne se passerait pas grand-chose.
Vous n’obligerez pas les gens à changer de comportement s’il n’y a pas des lois à respecter.
Donc l’axe législatif est quand même important.
La réalité est tellement plus complexe que la loi et les référentiels…Les référentiels, c’est bien. Mais ça ne suffit pas sur certains aspects, notamment la partie sociétale. Car beaucoup d’éléments sont difficilement quantifiables et mesurables. Par exemple, Fairphone travaille avec des mines artisanales pour extraire le cobalt de ses téléphones. Ce qui rime souvent avec mafia, conditions dangereuses, travail des enfants. Donc pas du tout recommandé légalement. Sauf que ce n’est pas si simple que ça. On vous explique. La loi adopte une approche occidentale, assez dogmatique, et très “top down”. Une approche qui peut empirer la situation et augmenter encore plus le marché noir et le travail des enfants dans les mines. Ce qui s’est passé en 2010 avec une loi américaine interdisant l’utilisation de minerais de pays en conflits dans les entreprises électroniques. Au final, cela a généré encore plus de marché noir. L’objectif de l’alliance Fair cobalt (dont fait partie Fairphone), c’est donc de changer les conditions de travail des mineurs de l’intérieur. Pour arriver à une solution éthique et durable sur le long terme. Cela veut dire adopter une démarche collaborative : aller sur place et travailler main dans la main avec les personnes concernées pendant des années. Pour trouver de vraies alternatives au travail des enfants. Car ce qu’il faut savoir, c’est que le salaire de l’enfant sert à la famille. Il faut donc améliorer le salaire des adultes pour éviter que les enfants travaillent aussi. Par exemple, un système de paiement directement sur le portable, pour garantir un minimum de salaire, a été mis en place dans une région de la République démocratique du Congo Et ça, ce n’est pas labellisable. Il y a donc des actions de lobbying et de militantisme importantes à mener. |
La loi va se durcir
Aujourd’hui, il n’y a pas encore vraiment de contraintes légales. Mais elles vont arriver rapidement, comme ça a été le cas pour les réglementations sur l’accessibilité numérique.
En fait, dans les lois, il y a la « soft law » et la « hard law ».
La « soft law » ce sont des règles qui existent, mais qui ne sont pas contraignantes, il n’y a pas de sanctions.
C’est le cas par exemple pour les normes, les labels, les chartes, les codes de conduite ou certains textes de loi. Leur application n’est ni contrôlée, ni sanctionnée. Il y a beaucoup de règles de ce type en matière de droit environnemental.
Ce genre de démarches, ce sont les prémices d’une réglementation officielle : la « hard law ».
Et vu le contexte environnemental, les mesures sont en train de se durcir. Cela va donc devenir obligatoire.
En tout cas, ce qui est sûr, c’est que des contraintes vont venir du marché. Cela va pousser les entreprises à évoluer.
Notre pouvoir en tant que citoyen et citoyenne : notre porte monnaie et les urnes ! Donc plus on sera nombreux et nombreuses à gueuler, et à manifester à travers nos décisions d’achat et de vote, plus on a de chance de faire évoluer les choses.
– Richard Hanna
Encore plus pour les entreprises qui travaillent avec le service public. Vu que le service public a davantage de contraintes que les autres : l’indice de réparabilité, les 20 % d’achats reconditionnés, …
L’écoconception de services numériques n’est pas (encore) obligatoire. Mais si les administrations décident d’écoconcevoir leurs services numériques, cela va faire évoluer le marché de la conception.
Il faut donc se renseigner et se former sur ces sujets-là.
Et si l’on parlait plutôt de responsabilité numérique ?L’éco-responsabilité, tout comme l’accessibilité font partie de la responsabilité numérique. Plutôt que de parler de numérique responsable, Murielle préfère d’ailleurs parler de responsabilité numérique : “Parce que dans le numérique responsable, en fait, on place le numérique en tant qu’acteur, on le personnifie. Alors qu’en fait, c’est juste un outil. Tandis que dans le concept de responsabilité, il y a cette notion d’éthique, de prise en compte de l’être humain, des conséquences de ses actes sur la nature et sur autrui. Donc, en fait, c’est la responsabilité de l’humain dans ses usages numériques qui doit être questionnée.” Et non pas l’outil en lui-même. |
Etat des lieux du numérique écoresponsable en France, en Europe et dans le monde
L’investissement du gouvernement français
Vu de l’extérieur, le gouvernement a l’air assez impliqué sur le sujet.
– Murielle Timsit
Il a lancé :
- Une initiative « Services publics écoresponsables »,
- Une feuille de route gouvernementale numérique et environnement,
- La démarche Bercy Vert, du ministère de l’Economie, de la Finance et de la Relance,
- La Mission Interministérielle Numérique écoresponsable (DINUM).
Après, tout ne vient pas du gouvernement. La loi REEN, par exemple, vient du Sénat. Donc certaines mesures viennent de la pression de l’administration, d’agents publics de l’administration ou des citoyens qui ont poussé tel ou tel sujet.
Et puis, les lois et les initiatives mises en place par le Gouvernement ne sont pas forcément contraignantes. Mais c’est déjà un premier pas.
Cela dit, c’est un sujet qui est relativement bien pris en compte.
On l’a vu dans les programmes électoraux de certains candidats et candidates. Mais bon, ce n’est pas le cas de tout le monde. Et la sobriété numérique n’est pas vraiment abordée.
En tout cas, à l’échelle internationale, on constate qu’en France on se pose au moins des questions. Dans d’autres pays, ce n’est même pas un sujet. Le numérique, c’est forcément bon.
Dans certains pays, on va être plutôt dans de la sobriété forcée que de la maturité sur le sujet. Les pays ayant peu de connexion (campagnes reculées, pas de développement de réseau) sont sobres par obligation.
Ce qui fait qu’en termes de maturité sur le sujet, la France est bien leader.
Comparaison à l’échelle européenne et internationale
Côté énergie
Il est difficile de comparer le cas français au reste du monde par rapport à l’impact de la pollution numérique.
Parce qu’il n’y a pas vraiment d’études comparatives sur les pays. A notre connaissance, il n’existe pas de classement sur la pollution numérique.
Après, en France on a la « chance » d’avoir un mix énergétique peu carboné, car issu du nucléaire. Cela a aussi ses inconvénients. Ce mix permet de réduire les impacts liés à l’usage du numérique. Pareil pour les pays scandinaves.
Donc au niveau de la consommation énergétique, on pollue moins que les pays utilisant le charbon. Comme l’Allemagne ou la Pologne, par exemple.
Même si l’Allemagne vise quand même une énergie 100% renouvelable d’ici quelques années.
En tout cas, cela nous offre aujourd’hui un avantage compétitif : les centres de données aiment bien s’installer dans des pays où l’énergie est bas carbone.
Attention, on parle ici de la phase d’usage. Phase qui est bien moins polluante que la fabrication des équipements numériques. Cette dernière correspond à environ 80% des impacts environnementaux.
Comparaison “capitalo-centrée”Il faut comparer les pays riches vis-à-vis des pays pauvres. L’usage du numérique en France se classe donc dans la catégorie des pays riches. Caractérisée par :
Pourquoi ? Il serait injuste de demander à des pays pauvres de faire autant d’efforts que des pays riches… Alors qu’ils polluent bien moins que ces derniers. Mais les pays riches peuvent les aider ! |
Côté législation
Le fait d’avoir autant de lois, de normes et de référentiels place la France sur le devant de la scène internationale côté réduction de l’empreinte environnementale du numérique. “Cocorico !”
On a clairement une longueur d’avance, à la fois sur le sujet écoconception, sur le sujet numérique responsable, et donc en termes de sobriété numérique.
Une longueur d’avance plutôt récente : la loi visant à réduire l’empreinte du numérique en France a été adoptée en novembre 2021.
Cela dit, on inspire d’autres pays à avancer sur ces sujets, grâce notamment à l’INR, l’Institut du Numérique Responsable.
Des démarches arrivent en Suisse, en Belgique, un peu en Allemagne et au Québec.
Vous avez aussi des groupuscules qui commencent à s’intéresser à ce sujet. Plutôt anglophone, côté USA, Canada.
Côté traitement des déchets
La France s’en sort pas trop mal, comparé au reste du monde.
Environ 60 % des déchets d’équipements électriques, électroniques sont plus ou moins bien traités en France.
– Richard Hanna
Quant au reste, on ne sait pas trop ce qu’il en advient. Cela peut partir dans des décharges illégales en France même.
Il y a aussi des brokers. C’est-à-dire des entreprises peu scrupuleuses, voire dirigées par des mafias, qui reprennent les équipements pour en retirer les matières précieuses : l’or, l’argent, le cuivre, …
On parle de milliards de dollars de bénéfices.
Le reste est envoyé dans des pays pauvres, dans des décharges à ciel ouvert. Vous avez peut-être vu des photos.
Cela entraîne des problématiques sociales, en plus des impacts environnementaux locaux.
Sans compter la pollution liée au transport et au traitement de ces déchets.
Après, il y a une bonne nouvelle !
La question des déchets s’améliore de manière générale.
En effet, une majorité des déchets d’équipements électroniques des pays occidentaux partaient jusqu’à récemment beaucoup en Asie, en Afrique, etc., pour être recyclés, ou du moins traités. Maintenant, c’est un peu moins le cas.
Mais il y a encore beaucoup d’efforts à fournir.
Comment éviter de participer à tout ça ?Déjà en limitant vos déchets, donc les achats de nouveaux produits. Faire en sorte de garder vos équipements le plus longtemps possible. Le problème aussi, c’est qu’actuellement la réparation coûte plus cher que de changer d’appareil. Bonne nouvelle : un fond pour la réparation vient d’être mis en place pour subventionner les réparations. Si vous devez absolument vous débarrasser de vos équipements, car ils ne sont plus fonctionnels, faites appel à un éco organisme. Ce dernier va collecter et traiter les déchets dans de bonnes conditions. Il va notamment pouvoir revaloriser ce qui peut l’être. En France, on a deux éco organismes collecteurs de déchets : ECOSYSTEM et ECOLOGIC Vous pouvez aller checker les prochaines collectes sur leurs sites internet. |
Quasiment tous les équipements électroniques et électroménagers peuvent être traités : donc aussi bien les frigos que les ordinateurs portables.
Et pour ce qui ne peut pas être réemployé ? Malheureusement, il n’y a pas de miracle. A la fin, il y a un enfouissement dans les sols. Personne n’est vraiment au courant de ce fait.
Mais c’est réglementé. En tout cas, on essaie de bien le faire en France et en Europe.
En effet, il y a une directive européenne concernant les D3E (déchets d’équipements électriques et électroniques). Tous les pays européens sont donc soumis à la même réglementation.
Il existe aussi des associations. Des groupes de travail sont en cours pour améliorer la situation sur ce point. Notamment avec l’AGIT, l’Alliance Green IT.
Côté terrain
Malgré l’avance côté loi, aujourd’hui, la plupart des entreprises ne sont pas conscientes de la pollution numérique. On est encore plutôt dans une phase de sensibilisation et de prise de conscience.
Niveau infrastructures et data centers : de gros efforts sont faits, surtout motivés par des soucis économiques. Cela réduit leur impact et reste intéressant.
Par exemple, le lancement de data centers 100% énergie renouvelable ou renouvelée. Par exemple, l’énergie est utilisée pour chauffer une piscine.
Niveau entreprises, on en distingue deux types :
- les entreprises qui utilisent le numérique au quotidien. Elles n’ont souvent aucune conscience de l’impact du numérique.
- les agences web, les agences de communication, les ESN, soit les entreprises produisant les outils numériques pour la première catégorie. Elles ont quand même une grosse méconnaissance. Les ESN créatrices de logiciels et d’applications n’ont souvent aucune connaissance en écoconception et repoussent à plus tard leur implication.
Avec les nouvelles lois, il est spécifié que la formation doit être apportée aux futurs professionnels et professionnelles du numérique.
Mais pour celles et ceux en activité, on est encore sur une phase de sensibilisation et de prise de conscience sur ces sujets.
Donc, les entreprises, à mon sens, sont plutôt en retard. Mais après, je pense que toutes les entreprises dans le monde en sont à peu près au même stade.
– Margo Chailloux
Coopération internationale pour un numérique plus écoresponsable
Les actions à l’échelle européenne
Au niveau européen, il y a des actions passées et en cours :
- Résolution du Parlement européen adoptée le 25 novembre 2020. Elle souhaite que l’Europe aille vers un marché unique, plus durable pour les entreprises et les consommateurs et consommatrices.
- Le Green Deal, le Pacte vert. Il s’agit plutôt d’IT for green, c’est-à-dire de digitalisation au service de l’environnement. Ce n’est pas forcément une démarche sobre, puisqu’on ne connaît pas les impacts positifs du numérique.
- Différents groupes de travail, notamment à la Commission Européenne,
- Un groupe de travail des régulateurs télécom sur l’empreinte environnementale du numérique,
- Le BEREC a récemment publié un rapport sur l’empreinte environnementale du numérique et des actions possibles,
- La DINUM va traduire le référentiel d’écoconception de services numériques et le guide de bonnes pratiques en anglais. Pour justement les partager avec nos homologues européens,
- Tout l’écosystème en France (EcoInfo, The Shift Project, Institut du Numérique Responsable, collectif Green IT…) produit pas mal de contenu. Il fait aussi un travail positif de lobbying, à l’échelle nationale, comme à l’échelle européenne.
- Et plein d’autres acteurs et actrices privés et associatifs qui se mobilisent pour un numérique plus responsable :
- collectif des designers éthiques (édition 2),
- groupe de travail initié par Frog, avec un serious game “Reseat” sorti le 7 avril 2022 autour du numérique responsable et de l’écoconception.
Parmi les actions à venir, notons l’Afnor SPEC 2201 :
- Il s’agit d’élaborer une spécification pour l’écoconception.
- L’avantage : une spécification prend moins de temps à sortir qu’une norme (qui prend plusieurs années).
- Elle est en cours de finalisation et va s’appeler « L’écoconception au service du numérique« .
- C’est un livrable élaboré collectivement avec des participants et participantes sous la responsabilité de l’Afnor.
- La volonté étant de porter cette spécification au niveau international, pour homogénéiser les pratiques en termes d’écoconception.
- Par contre, c’est une mesure non contraignante. Encore une fois, il faut une adhésion volontaire. Donc, sans sanctions, il est plus difficile de faire bouger les gens. Cela dit, si l’on met des contraintes trop tôt, il y aura forcément des frictions et peut-être un rejet.
- L’idée est donc plus de poser les cadres et sensibiliser les acteurs et actrices sur ces sujets pour qu’ils et elles les mettent en œuvre.
- Et aussi d’éviter le greenwashing. Parmi les personnes qui s’engagent, il y a celles qui recherchent plutôt les aspects business, sans avoir de réelles convictions environnementales. Elles communiquent, font de la RSE pour donner une bonne image de leur entreprise. Surtout lorsque l’entreprise et ses activités sont très polluantes.
- L’exemple typique : la compagnie aérienne qui écoconçoit son site web ou plante des arbres et se dit responsable. C’est antinomique !
Le problème international de l’obsolescence logicielle
Il y a un gros sujet à l’échelle internationale, c’est l’obsolescence induite par les systèmes d’exploitation :
- Microsoft avec Windows,
- Apple avec IOS,
- Google avec Android
On remplace le matériel, les terminaux parce que cela rame, parce que ce n’est plus compatible avec les nouvelles versions. Alors qu’on pourrait les faire durer plus longtemps.
Les solutions selon Richard Hanna :
- Développer les logiciels et des systèmes d’exploitation libres (open source). Et carrément faire en sorte que la puissance publique les impose. Il faudait une démarche très volontariste de la part des administrations et des collectivités sur ce point. Pour qu’on utilise nos terminaux le plus longtemps possible.
- Lutter contre ces logiques d’obsolescence programmée, quand on ne peut pas changer (de logiciel, système d’exploitation).
Parce que c’est absurde de maintenir un système d’exploitation 2 ou 3 ans, alors que le terminal peut durer 7 ans et même plus. Il faut coupler le matériel à l’obsolescence du logiciel.
Et imposer aux éditeurs de bien veiller à ne pas créer cette obsolescence, de proposer des mises à jour pendant toute la durée de vie de l’équipement.
En Allemagne, il y avait une volonté d’imposer aux éditeurs des mises à jour pendant 7 ans.
C’est dingue quand même de se dire qu’aujourd’hui on ne peut plus utiliser Word sur une machine plus puissante que celles utilisées avant pour aller sur la Lune.
– Richard Hanna
Et le covid dans tout ça ?
A-t-il permis des prises de conscience ? Oui et non.
Après une phase de faible consommation, il semblerait qu’on soit revenus un peu comme avant. La consommation a beaucoup augmenté après les confinements.
Sans compter la numérisation intensive de nos activités : visioconférences, enregistrement de podcast à distance,…
Des changements qui ouvrent des perspectives et de nouvelles opportunités. Avec des effets à la fois positifs (réduction des déplacements) et négatifs (réduction des échanges sociaux, augmentation de la pollution numérique).
Mais de manière générale, le Covid a quand même entraîné des prises de conscience, comme le questionnement sur ses besoins essentiels.
On voit des évolutions dans les comportements de la société… Même si cela ne s’est pas encore généralisé.
Comment faire avancer les choses ?
Pas de secret, pour enclencher une démarche d’écoresponsabilité : il faut d’abord s’informer et se former.
Il faut aussi beaucoup renoncer et refuser. Par exemple, pour l’écoconception, on parle de réduction, plutôt que d’optimisation. Réduire la voilure. En fait, il s’agit de s’interroger sur les usages et les besoins.
Refuser les choses inutiles parmi :
- les équipements,
- les fonctionnalités,
- les usages.
Pour aller jusqu’au bout, c’est peut-être changer de boulot. Pour éviter de soutenir les entreprises qui détruisent la planète.
Se poser aussi la question de la rémunération, comme l’explique Richard Hanna :
« Est-ce que je fais un travail où j’ai une très bonne rémunération ? Et du coup je génère de la pollution par ailleurs, à cause de mon mode de vie, de mes consommations. Je peux m’acheter le dernier smartphone et je peux faire des week end à New York. Moi je vous invite vraiment à vous poser cette question-là. […] Donc regardons aussi ce qu’on a dans le porte-monnaie et ce dont on a besoin juste pour vivre et limiter l’impact globalement sur la planète du fait de nos modes de vie.”
Et puis cet argent que vous dépenseriez peut-être dans un voyage à l’autre bout du monde, vous pouvez sans doute l’utiliser ailleurs :
- Investir en vous : formations, séance de yoga, relaxation…
- Donner à des associations qui luttent contre le réchauffement climatique. Côté numérique, vous avez par exemple Halte à l’Obsolescence Programmée, Framasoft…
Attention aux effets rebondMême la sobriété a des effets rebond. Les économies faites d’un côté en ayant un mode de vie sobre, peuvent entraîner des effets rebond de l’autre. Par exemple, prendre le temps et l’argent qu’on a en plus pour voyager. Ce qui engendre plus de pollution. Et ça s’apparente aussi au greenwashing. “Regardez ce que je fais bien (je réduis mon temps passé derrière un écran), mais derrière je prends l’avion pour une semaine de vacances en Thaïlande (aïe, bobo la planète)”. On doit vraiment opérer une transformation de son mode de vie global, pas uniquement numérique. |
Conclusion
On se rend compte que le contexte législatif est en train d’évoluer concernant la responsabilité numérique de notre société.
Les lois s’étoffent et se durcissent. Comme pour l’accessibilité, on va bientôt arriver aux obligations et aux sanctions. Alors, plutôt que d’attendre que ça arrive, pourquoi ne pas agir maintenant ?
Comme ça, vous prenez la vague au bon moment. Vous ne vous ferez pas submerger quand elle arrivera.
Alors, on s’y met ? Vous pouvez nous contacter si vous avez besoin d’aide et de conseils pour écoconcevoir vos services numériques.
On publie aussi beaucoup de contenus pour rendre vos pratiques numériques plus responsables. Inspirez-vous et essayez !
Et donc ?
Pour pousser vos actions plus loin, retrouvez l’intégralité de notre enquête sur le numérique écoresponsable.
Si vous êtes plus branché ou branchée résumé, voici celui du premier épisode sur les fondements du numérique écoresponsable.
Les deux suivants sortent dans les semaines à venir.