L'accessibilité et l'inclusion numérique : le cadre légal
L'accessibilité et l'inclusion numérique : le cadre légal
Publié le 09 décembre 2021
Et voici le deuxième épisode de notre série de podcasts sur l'accessibilité et l'inclusion numérique. On rentre dans le détail des lois encadrant l'accessibilité numérique. Pour comprendre comment et à qui elles s'appliquent. Nos experts et expertes vous expliquent la marche à suivre.
Plan :
Episode 2 : le cadre légal autour de l’accessibilité et l’inclusion numérique
Retranscription de l’épisode 2 sur l’accessibilité et l’inclusion web
- Introduction
- Le cadre légal autour de l’accessibilité et de l’inclusion numérique
- La vision d’ensemble sur le contexte actuel
- Les lois actuellement en vigueur et leurs évolutions
- Le contexte législatif international
- L’investissement limité des décisionnaires
- Le décalage entre pratique et réalité
- Conclusion
Episode 2 : le cadre légal autour de l’accessibilité et l’inclusion numérique
Voici le deuxième épisode de notre enquête sur l’accessibilité et l’inclusion web. Une série de podcasts réalisée par Lili et Marine, nos deux acolytes du pôle communication.
Elles ont interviewé des pointures sur le sujet :
- Nicolas Karasiewicz, éveilleur de conscience, conférencier et consultant en stratégie et diversité.
- Julie Moynat, consultante en accessibilité web et intégratrice web, associée chez Copsaé, aussi connue sous le pseudo de la Lutine du web.
- Fernando Pinto da Silva, chargé de mission stratégie numérique dans la Fédération des aveugles et amblyopes de France, animateur de la Commission accessibilité, conception universelle et numérique du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH), et membre actif chez BrailleNet.
- Natacha Blazquez y Gomez, cheffe de projet web et consultante en marketing digital, et cofondatrice de l’association Product for Good.
Cet épisode nous a permis de découvrir et mieux comprendre les lois sur l’accessibilité numérique.
Bonne écoute !
Retranscription de l’épisode 2 sur l’accessibilité et l’inclusion web
Dans un soucis de répondre aux besoins des personnes malentendantes, sourdes ou simplement avec une préférence pour les supports écrits : voici le script du podcast.
Ben oui, faire un podcast sur l’accessibilité web, sans le retranscrire, ça serait quand même dommage.
Hippo’dcast, un podcast qui vous plonge dans nos enquêtes sur l’éthique en entreprise et sur le web.
Réalisé avec bienveillance par Lili et Marine de l’agence web Hippocampe, une agence en pleine transition éthique.
Introduction
Marine [00:00:18]
Tous les trois mois, on explore une nouvelle initiative éthique que l’on veut mettre en place dans l’agence.
L’occasion de sensibiliser et de se former pour accélérer notre transition éthique. Et quoi de mieux pour se former que de faire intervenir des expertes et experts passionnés par ces différents sujets?
Vous aussi, vous voulez rendre vos pratiques plus éthiques. Alors, plongez avec nous dans l’enquête.
On vous embarque dans nos rencontres et nos échanges à travers une série de podcasts qui vous accompagnent au cœur de nos enjeux éthiques.
De quoi vous inspirer avec des solutions concrètes pour votre activité professionnelle.
Ce trimestre, on plonge dans l’accessibilité et l’inclusion sur le web. On mène l’enquête pendant trois mois pour creuser et approfondir les différents enjeux sur le sujet.
Qu’est ce qu’on a tiré de ces échanges ?
Qu’est ce qu’on va appliquer concrètement à l’agence ?
Qu’est ce que vous pourriez mettre en place dans votre activité ?
On vous laisse découvrir tout ça dans cette série de cinq épisodes sur l’accessibilité et l’inclusion web. On espère qu’elle vous sera utile pour rendre vos pratiques professionnelles et numériques plus inclusives.
Le cadre légal autour de l’accessibilité et de l’inclusion numérique
Lili [00:00:50]
Bonjour à toutes et à tous !
Dans cet épisode, on continue sur le thème de l’accessibilité et l’inclusion numérique en explorant son cadre légal.
Il existe en effet des lois pour encadrer l’accessibilité numérique dans les entreprises. Mais sont-elles vraiment respectées et appliquées ?
C’est ce que nous avons essayé de découvrir dans ce podcast.
Dans ce deuxième épisode, nous sommes accompagnées de :
- Fernando Pinto da Silva, chargé de mission stratégie numérique dans la Fédération des Aveugles et Amblyopes de France, président de la Commission Accessibilité, Conception Universelle et Numérique du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) et membre actif chez BrailleNet.
- Nicolas Karasiewicz, éveilleur de conscience, conférencier et consultant en stratégie et diversité.
- Julie Moynat, Consultante en accessibilité web et intégratrice web, associée chez Copsaé, aussi connue sous le pseudo de la Lutine du web.
- Natacha Blazquez y Gomez, chef de projet web et consultante marketing digitale, co-fondatrice de l’association Product for Good.
Vous êtes bien installés [et installées] ? Alors c’est parti, plongez avec nous dans la suite de notre enquête sur l’inclusion et l’accessibilité numérique.
La vision d’ensemble sur le contexte actuel
Lili [00:02:02]
Pour se lancer dans le vaste sujet qu’est le cadre légal autour de l’accessibilité et l’inclusion numérique, il était essentiel d’avoir une vision d’ensemble.
Nicolas nous fait un état des lieux pour vous resituer dans le contexte actuel.
Nicolas [00:02:14]
Il y a eu des évolutions, mais aujourd’hui, c’est encore relativement timide.
Pourquoi ? Parce qu’on a mis un sujet sur la table, mais on n’a pas expliqué comment faire.
Et donc, tout le monde a cette prise de conscience, finalement, qu’il faut travailler la question de l’inclusion, de l’accessibilité, tout comme d’ailleurs les enjeux environnementaux.
Vous allez demander à n’importe quel chef d’entreprise, il ne va pas vous dire « eh bien écoutez, moi, le développement durable, je m’en fous ».
L’inclusion, c’est pareil.
Moi, il n’y a personne qui va me dire « non, aider les personnes handicapées, ça ne m’intéresse pas. »
Alors je l’ai déjà entendu, mais dans tous les cas, on a beaucoup de mal à dire « non, votre sujet ne me concerne pas, mais par contre, on ne sait pas comment faire ».
Et c’est là où il y a besoin de donner des outils, de mettre en lumière les outils, les solutions technologiques qui existent, de former. Et là pour le coup, je fais une parenthèse école de com, école de marketing, parce que les étudiants [et les étudiantes] qui sortent de ces grandes écoles ne sont pas formés ou très peu à la question de l’accessibilité numérique et de la communication inclusive.
Donc, il y a aussi ce problème là. Et donc il y a des évolutions qui sont timides parce que justement, on n’a pas une approche globale.
Mais on va mettre un pansement en disant « oui alors les sites internet ne sont pas accessibles, donc il faut une loi ».
OK, mais quelle approche globale on a sur le sujet dans notre pays et à l’échelle européenne ?
Pour le moment, c’est très compliqué d’en avoir.
Les lois actuellement en vigueur et leurs évolutions
Lili [00:03:58]
Maintenant que nous avons ces enjeux globaux en tête, rentrons dans le vif du sujet.
Vous vous en doutez, il existe des lois génériques qui influencent la prise en compte de l’accessibilité et l’inclusion numérique.
Natacha nous les expose.
Natacha [00:04:13]
Il y a, par exemple, l’article 11 qui est sur la liberté d’expression et d’information.
Finalement, la liberté d’information, s’il n’y a pas d’accessibilité numérique, s’il n’y a pas d’inclusion digitale, en fait, cette liberté d’information est bafouée puisque tout le monde n’a pas accès aux mêmes éléments que tout le monde.
On a aussi deux autres articles que je voulais mentionner.
On a l’article 21 sur la non-discrimination et l’article 26 sur l’intégration des personnes handicapées.
Donc, effectivement, ça reste très général, mais ça intègre quand même tout ce qui est digital.
Lili [00:04:50]
Ces différentes lois répondent déjà en grande partie aux enjeux identifiés dans l’épisode 1 sur les bases de l’accessibilité et l’inclusion numérique.
Prenons la Loi sur la liberté d’expression, par exemple.
Ne pas prendre en compte l’accessibilité revient ici à priver certaines personnes de leur droit de s’exprimer, ce qui est totalement illégal.
Rentrons maintenant dans le détail du cadre légal. Fernando nous déroule chronologiquement la liste des lois spécifiques à l’accessibilité numérique.
Fernando [00:05:17]
Alors moi, je vais parler exclusivement de ce qui existe en matière d’accessibilité numérique.
C’est ce que je maîtrise le plus et vous verrez qu’il y a déjà matière à expliciter un certain nombre de notions.
Ce droit à l’accessibilité numérique est reconnu dans la loi française depuis le 11 février 2005, dans une grande loi d’orientation concernant le handicap, à son article 47.
Cet article 47 prévoyait un certain nombre de décrets, d’arrêtés pour rendre les modalités de communication accessibles à toutes et à tous.
En 2009, on a eu successivement un décret et un arrêté pour tout ce qui était interface numérique publique, qui fixaient des échéances à 2011 pour les services de l’Etat et les grandes collectivités, et 2012 pour le reste du secteur public.
Et donc, 2012 arrive, et sincèrement, très, très peu de choses de faites en matière d’accessibilité numérique.
Donc pas de respect du cadre légal, ni réglementaire, et en réalité, pas de sanction puisqu’à l’époque, malgré la demande du secteur associatif, aucune sanction n’avait été prévue pour défaut d’accessibilité.
Là-dessus, en 2014, l’association BrailleNet, pour rendre ça un peu plus évident, fait une étude sur un échantillon de 600 sites publics. Et sur ces 600 sites publics rapidement audités, on fait apparaître que seulement 3,7%, je dis bien 3,7% de ces sites Internet à l’époque avaient des caractéristiques liées à l’accessibilité numérique.
Donc, on voit que la marche était encore très importante.
Et en 2016 interviennent deux textes pour renforcer cette accessibilité numérique.
Le premier nous vient de l’Europe au travers de la Directive européenne UE 2016/2102, qui cherchait à harmoniser le droit à l’accessibilité numérique pour l’ensemble des pays de l’Union.
Et le deuxième texte, en 2016, résulte de la loi République numérique au travers de deux articles particuliers.
L’article 105 pour une accessibilité universelle à la téléphonie, et notamment pour permettre aux personnes sourdes, sourdes-aveugles et aphasiques de pouvoir téléphoner.
Et l’article 106 qui lui ré adressait l’accessibilité numérique en fixant de nouveaux objectifs, en particulier pour le secteur privé. Puisque lui jusqu’à présent, si vous avez suivi ce que je disais, n’était pas impacté par la loi telle qu’elle avait été promulguée en 2005.
Cette directive européenne et ses articles de loi, de la loi République numérique de 2016 ont nécessité d’une part, de faire réécrire l’article 47 de la loi du 11 février 2005 et, d’autre part, de sortir des textes réglementaires pour consolider le droit.
C’est ce qui s’est fait en 2018, au travers de la loi « Liberté de choisir son avenir professionnel » au travers de l’article 80, qui lui-même a modifié l’article 47 de la loi du 11 février 2005 pour renforcer le droit et les obligations en matière d’accessibilité numérique.
Et au travers des arrêtés qui sont sortis suite à la promulgation de cet article 80 de la loi « Liberté de choisir son avenir professionnel » pour fixer les seuils, notamment à partir desquels les entités privées seraient sujettes à respecter les obligations en matière d’accessibilité numérique.
Le seuil a été fixé à 250 millions d’euros de chiffre d’affaires pour les entités.
Et donc pour les entités privées réalisant un chiffre d’affaires de plus de 250 millions d’euros ou pour n’importe quel service public, qu’il soit réalisé par le service public lui-même ou qu’il ait été délégué à une entité privée pour réalisation pour le service public, ou que ce soit une structure privée qui ait la mission d’un service public.
Tout ça, c’est considéré comme du service public.
Et donc, tous les services publics en France et les entités privées réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros doivent se conformer aux obligations.
Alors ces obligations, quelles sont-elles ?
Ces obligations, c’est d’abord et avant tout un fichier sur la page d’accueil, ce qu’on appelle une déclaration d’accessibilité. C’est-à-dire que, dès qu’on arrive sur la page d’accueil d’un site Internet, et même, depuis juin 2021, d’une application mobile, on doit dire si le service est accessible ou pas.
On va dire accessibilité conforme ou totalement conforme, accessibilité partiellement conforme ou accessibilité non conforme.
Il suffit pas de le dire, il faut aussi publier un audit pour le prouver. C’est-à-dire dire « eh bien voilà, il y a eu un audit qui a été réalisé à tel moment sur tel échantillon de pages. On a satisfait un pourcentage de critères en matière d’accessibilité ».
Et donc on peut dire qu’on est pleinement accessible, partiellement accessible, ou pas accessible.
Si on est partiellement accessible ou pas accessible, on doit assortir cette déclaration de l’accessibilité d’un schéma pluriannuelle indiquant dans les trois ans ce qu’on va faire pour rendre son service accessible.
S’il n’y a pas de déclaration d’accessibilité, le service en question encoure jusqu’à 20 000 euros de sanctions par infraction constatée.
Admettons, par exemple, que je sois un gros fournisseur d’accès à Internet.
J’ai par exemple 300 sites. Si je n’affiche pas ma déclaration d’accessibilité pour chacun des sites en bonne et due forme, et si je réalise un chiffre d’affaires de plus de 250 millions d’euros, ce qui, a priori, doit être le cas d’un gros fournisseur d’accès Internet, eh bien j’encours, potentiellement jusqu’à, si je reprends mon exemple, 300 fois 20 000 euros.
Maintenant, de quoi on parle quand on parle de ces critères d’accessibilité ?
On parle, pour le secteur public, du Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité. Ce que les professionnels de l’accessibilité numérique appellent le RGAA.
Et donc ce RGAA a 106 critères, qui décrivent précisément ce qui doit être fait pour qu’un service soit considéré comme accessible.
Ces 106 critères ne sont pas franco-français. Ils découlent d’une norme européenne, qui est la norme européenne qui s’impose à tous les services publics pour l’ensemble des pays de l’Union.
C’est la norme EN 301 549.
Et cette norme européenne elle-même découle des recommandations édictées par le consortium qui régit l’internet, donc le W3C, au travers de son groupe, le WAI [Web Accessibility Initiative], qui ne s’occupe que d’accessibilité.
Et ce WAI W3C édicte des recommandations au niveau international qu’on appelle les WCAG [Web Content Accessibility Guidelines].
Donc, je récapitule.
On a un référentiel français pour les services publics, qui découle lui-même d’une norme européenne, qui s’impose à l’ensemble des pays de l’Union, qui elle-même, bien évidemment, découle des recommandations internationales.
La seule chose, c’est que l’Europe en a fait une norme pour que ça puisse s’appliquer à l’ensemble des pays de l’Union.
Pour les entités privées, dans la mesure où elles peuvent avoir des marchés qui ne sont pas strictement franco-français, là le législateur leur donne la possibilité de se référer aux textes qu’elles préfèrent.
C’est-à-dire que si elles préfèrent aller vers le référentiel technique franco-français, elles peuvent s’appuyer sur ce référentiel, si elles veulent s’appuyer sur la norme européenne, elles peuvent dire « j’ai pris comme base de référence la norme européenne », qui reprend les mêmes critères, mais les reformulent peut-être un peu différemment.
D’un côté elles vont permettre un peu plus de latitude en termes d’interprétation des critères, notamment. Ou [ces entités privées] peuvent même toujours se référer aux recommandations internationales. Si, dans leur secteur d’activité ça s’avère important.
Je pense notamment à des structures américaines qui peuvent faire du commerce en France, et qui évidemment ne vont pas nécessairement, parce qu’elles n’ont qu’un site unique, faire d’une façon pour la France, et d’une autre façon pour les Etats-Unis.
Mais ça, je le redis pour être très clair, le choix de se référer au référentiel français, à la norme européenne ou aux recommandations internationales édictées par le W3C, ce n’est possible que pour les entités privées réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros.
Pour l’ensemble des sites publics, pour le coup, c’est bien le référentiel général d’amélioration de l’accessibilité qui fait foi.
Lili [00:15:41]
Vous devriez maintenant être au clair avec les législations auxquelles sont confrontés les organismes privés et les entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros.
Mais qu’en est-il des autres, comme notre agence ou votre activité, par exemple ?
Fernando nous l’explique.
Fernando [00:16:00]
Maintenant, on peut aussi se dire que « très bien on voit pour le cadre public, on comprend un peu pour le privé, mais quid des entités privées qui réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 250 millions d’euros ? »
Pour l’instant, il n’y a pas d’obligation formelle à le faire.
La seule incitation qu’on puisse proposer, finalement, c’est de dire « si vous concevez un service qui n’est pas nativement accessible, vous allez exclure des publics. Donc finalement, vous allez par exemple vous priver d’une part, peut-être même non négligeable, de vos clients.
Donc, c’est aujourd’hui peut-être une des choses qu’on peut mettre en exergue auprès de ces structures qui n’ont pas d’obligation légale.
Mais c’est aussi leur donner rendez-vous. Parce qu’on a un acte européen d’accessibilité, paru au Journal Officiel de l’Union Européenne le 7 juin 2019, qui prévoit la mise en accessibilité des biens et des services pour l’ensemble de l’Union européenne, et donc des services numériques des entités privées.
À l’exclusion de ce que l’Union européenne appelle les micro-entreprises, c’est-à-dire, de ce que j’en ai compris assez récemment, les entités qui réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 1 million d’euros.
Et donc ce texte paru au Journal Officiel en juin 2019 prévoit, d’une part, que l’ensemble des pays de l’Union aient transposé cette directive dans leurs droits nationaux d’ici le 28 juin 2022, et d’autre part, que ce droit soit effectif au 28 juin 2025.
C’est-à-dire notamment que les services numériques de ces entités privées soient accessibles, en dernier recours au 28 juin 2025. Et pour ceux qui font du numérique au quotidien, on réalise ce podcast en octobre 2021, parler d’une effectivité d’un droit à l’accessibilité numérique pour quasiment l’ensemble des entités privées à horizon 2025, en réalité, c’est déjà demain.
Parce que ça veut dire, soit mettre un nouvel outil en production prochainement, soit faire des mises à jour de cet outil numérique.
Donc, il n’y a pas d’obligation formelle pour ces entités privées qui réalisent un chiffre inférieur à 250 millions d’euros. En revanche, il y a déjà un rendez-vous fixé au 28 juin 2025 pour que leurs services numériques soient accessibles à [toutes et à] tous.
Lili [00:18:58]
Aujourd’hui, on constate qu’il y a encore peu d’initiatives accessibles motivées uniquement par des convictions altruistes.
C’est un peu une politique de la carotte et du bâton, comme le résume Nicolas.
Nicolas [00:19:10]
Au final, aujourd’hui, on a dans notre pays, mais c’est le cas sur plein d’autres sujets, une approche qui est quand même souvent très descendante.
C’est-à-dire, on vous dit de faire ça, et si vous ne le faites pas, c’est la carotte ou le bâton en quelque sorte.
C’est le cas aussi aujourd’hui dans le sujet de l’accessibilité numérique. Parce que je pense qu’à un moment donné, il faut le faire, oui. Parce qu’on a incité, on a dit aux entreprises qu’il fallait le faire, elles ne l’ont pas fait.
C’est la même chose pour l’emploi des personnes en situation de handicap dans le monde du travail aujourd’hui.
Ça fait quelques années qu’on incite à le faire. Si on ne le fait pas, à un moment donné, oui, il faut prendre des sanctions. Mais je ne pense pas que ce soit le premier levier qu’il aurait fallu actionner.
Moi, je fais beaucoup de pédagogie dans mon quotidien, parce que je pense qu’on a besoin de former, d’informer, d’expliquer le pourquoi du comment. Et là où la législation pèche un petit peu, c’est justement là-dessus.
C’est-à-dire que si vous ne le faites pas, on vous tombe dessus.
Et vous regarderez que sur le terrain, au quotidien, les contrôles, finalement, pour vérifier si les sites Internet sont accessibles ou pas, il n’y en a pas beaucoup.
Alors moi, j’espère beaucoup de la législation européenne et j’en ai discuté avec Thierry Breton il n’y a pas si longtemps que ça. Il y a aujourd’hui des éléments qui font que, on espère, grâce au levier européen, les choses évoluent. Mais on ne pourra pas le vérifier tout de suite.
C’est pour ça que d’ailleurs d’autres pays sont plus en pointe que nous. Vous allez regarder ce qui se fait aux Etats-Unis, la législation n’est pas la même. Et du coup, les gros acteurs qu’on connaît et qu’on utilise au quotidien se sont saisis du sujet, parce qu’ils ont vu le potentiel.
Mais parce qu’on leur a expliqué.
Et puis parce que les associations là-bas sur place on fait un travail, évidemment, dans un premier temps pédagogique, dans un deuxième temps, [un travail] de mobilisation.
Et puis, dans tous les cas, tout le monde y trouve son compte. Parce qu’économiquement, les utilisateurs sont contents, parce qu’ils peuvent aller sur Google ou sur Facebook.
Et puis, les opérateurs sont tout aussi contents parce qu’ils gagnent en utilisateurs.
Le contexte législatif international
Lili [00:21:44]
Pour avoir une bonne vision d’ensemble, nous voulons comparer le cas de la France au cadre législatif international.
Fernando nous fait un tour d’horizon non exhaustif de la situation en Europe par rapport à la France.
Fernando [00:21:57]
J’ai pas de classement récent en tête.
On met souvent en exergue ce que faisaient les Anglais.
Bon évidement maintenant, ils ne font plus partie de l’Union européenne. Mais en l’occurrence, ils avaient quand même, vraiment je crois, travaillé la question de façon assez importante.
On a sur d’autres thématiques aussi le Portugal, par exemple, qui fait des choses intéressantes.
Je ne dis pas qu’il soit le premier, c’est pas ça, mais en tout cas, il revient régulièrement sur la table. Il a mis en place des observatoires avec des indicateurs qui sont assez intéressants. Il y a des choses aussi autour de l’accès aux personnes sourdes, au travers de différentes initiatives qui ne sont pas toujours saluées par les publics eux-mêmes.
Mais voilà on sent en tout cas qu’il y a des pays où on considère cette question beaucoup plus que chez nous.
Après, sur la question de savoir comment la France se situe par rapport à l’Europe, c’est un peu compliqué.
On a des études qui datent un peu, on a des chiffres qui mériteraient sans doute d’être consolidés. Mais on pense aujourd’hui, en croisant différentes données, que la France est dans le dernier tiers des pays européens en matière d’accessibilité numérique.
En prenant en compte un certain nombre de secteurs public, privé etc. on est dans le dernier tiers.
Donc, souvent, on a accusé un retard important malgré les législations, malgré un certain nombre d’efforts, je peux quand même le dire aussi, mais il reste encore beaucoup, beaucoup à faire. Et notamment les saisines individuelles dont je parlais tout à l’heure auprès du secrétariat d’État aux Personnes handicapées.
C’est finalement un symptôme de ce malaise.
C’est-à-dire de dire qu’on en soit encore à 2021 à quémander le bon accès à telle ou telle banque, tel ou tel site d’achat en ligne, tel ou tel département…
Ça met quand même en évidence qu’il y a un vrai problème. Donc voilà où on en est a priori aujourd’hui, en octobre 2021.
Lili [00:24:13]
Natacha, quant à elle, nous a éclairées sur le contexte législatif aux Etats-Unis.
Natacha [00:24:18]
Alors, il y a eu quelques évolutions, à mon sens, qui ne vont pas assez loin.
Avant d’utiliser le cas de la France, je vais juste utiliser le cas des Etats-Unis où, pour le coup, eux, ils ont des lois qui sont très contraignantes.
Ce qui fait qu’aujourd’hui, la plupart des entreprises vont essayer de se conformer aux règles d’accessibilité, tout simplement parce que derrière, on va leur taper sur les doigts, justement, si elles ne le font pas.
Lili [00:24:47]
À la lumière de ce contexte législatif international, on s’est demandé s’il y avait un écart d’investissement entre les pays.
Fernando nous répond et développe l’exemple de Walmart aux Etats-Unis.
Fernando [00:24:59]
C’est très disparate en réalité. Mais je pense que c’est par secteur.
Je pense que certains secteurs commencent à comprendre. Aussi parce que le numérique fait qu’on n’est plus entre nous.
C’est-à-dire qu’on ne fait pas un service numérique pour la France, un service numérique pour les Belges, un service numérique pour les Suisses.
Si vous êtes francophone, à la limite, aujourd’hui, quand vous consommez un bien culturel en ligne, peu importe que ce soit la France, la Belgique ou la Suisse qui le mettent en place.
Si ça vous donne accès à ce que vous cherchez, en réalité, vous n’êtes pas à vous dire « c’est un service de tel ou tel pays ».
Donc, du coup, dans certains secteurs, ça s’organise en disant « bon il faut qu’on travaille cette question parce qu’on doit pouvoir adresser convenablement l’ensemble de nos publics ». Et puis même parfois, ça vient de loin aussi.
C’est-à-dire que, comme le numérique, c’est comme je viens de le dire, par essence internationale, on a parfois des réglementations qui sont beaucoup plus dures, qui, du coup, font qu’on a accès à des produits beaucoup plus accessibles en Europe.
Alors à quoi je me réfère ?
Et bien par exemple, aux Etats-Unis, on a ce qu’on appelle la section 508, qui fait que la chaîne de supermarchés Target, par exemple, a fait l’objet d’un communiqué de la National Federation of the Blind, donc l’équivalent fois 10 puissance 15 de la Fédération des aveugles et amblyopes de France aux Etats-Unis.
Et donc le communiqué disait, en gros, « on constate que la plateforme d’achat de Target n’est pas accessible, et donc, il va falloir qu’elle fasse le nécessaire pour qu’elle le soit, parce que sinon on va intenter une action ».
Donc ça, la section 508 le permet. Et elle permet même d’aller beaucoup plus loin puisqu’elle permet aussi de travailler cette question sur le matériel.
Et notamment quand le département d’État, je crois que c’était en octobre 2012-2013, annonce qu’il va doter les ambassades des Etats-Unis autour du monde de liseuses Kindle, il a suffi que the National Federation of the Blind émette un communiqué de presse en disant qu’ils prenaient acte de ce marché public, mais ils constataient que le Kindle était inaccessible, conséquence de quoi ils allaient introduire une action en justice.
Ça a suffi pour que le département d’Etat suspende ce marché public et pour qu’Amazon fasse le nécessaire pour rendre ses Kindle accessibles.
Et c’est ce qui fait qu’aujourd’hui, finalement, [une consommatrice ou] un consommateur français peut acheter un Kindle et l’utiliser, même s’il est en situation de handicap visuel avec une synthèse vocale incorporée, avec la possibilité par moment de connecter un afficheur braille en Bluetooth, etc.
Et ça, ça nous vient aussi d’autres législations qui sont sans doute un peu plus musclées en matière de droit, et qui nous permettent à nous ici, même si nos législations sont beaucoup plus souples et beaucoup plus permissives, mais qui nous permettent de consommer dans de meilleures conditions.
Lili [00:28:15]
Est-ce que vous pensez que l’optimisation de l’accessibilité sur des marchés internationaux, comme vous venez de le citer aux Etats-Unis, influencent les marchés français ?
Est-ce que les marques en France se disent « si les marques américaines peuvent le faire, pourquoi pas nous » ?
Fernando [00:28:34]
Alors, est-ce que ça les influence ? Pour certaines, oui, c’est même totalement sûr.
Au point même qu’à un moment donné, il y a deux, trois ans, on s’est aperçu que certaines marques de luxe en France faisaient des sites accessibles pour les Etats-Unis, alors qu’en France leur site était inaccessible.
Donc ça met en évidence, en tout cas, que le souci existe. C’est-à-dire qu’elles ont bien identifié que pour être présentes sur le marché américain, il fallait qu’elles fassent le nécessaire pour se conformer à la section 508.
Bon, après, je pense qu’elles ont aussi conscience du fait qu’on les a vu faire. Et on leur a dit d’ailleurs.
Donc là les choses sont en train, là aussi, de se corriger pour que les interfaces en France soient également accessibles.
Mais en tout cas, oui, elles ont bien perçu que les législations pouvaient être beaucoup plus contraignantes ailleurs et que si elles voulaient être présentes sur ces marchés, elles n’avaient pas d’autre choix que de faire le nécessaire pour rendre leurs interfaces accessibles.
Donc, du coup, à un moment donné, d’une façon ou d’une autre, ça fait quand même naître une culture d’entreprise sur l’accessibilité numérique.
Et donc, si vous êtes accessible pour un marché donné, en réalité, très vite, vous vous mettez à le faire pour l’ensemble des marchés.
Lili [00:29:47]
On note un réel écart entre la France et d’autres pays, comme les Etats-Unis notamment.
On s’est donc demandé si ce n’était pas dû à l’investissement de nos décisionnaires sur ces enjeux d’accessibilité.
Julie considère qu’il y a un réel décalage entre la prise en compte du handicap dans la loi et les besoins réels des personnes concernées.
Julie [00:30:06]
Je pense qu’ils n’ont pas conscience de la hauteur des enjeux. Parce que les enjeux, ils les connaissent.
Mais l’impact que ça a, je pense que c’est pas bien mesuré.
En fait, en France là, je vais juger ce qu’il se passe actuellement, mais le gouvernement en fait passe son temps à faire des campagnes de communication qui font rager les personnes handicapées qui militent pour leurs droits.
Par exemple, la dernière campagne assure voir la personne avant le handicap. Elle fait beaucoup grincer des dents les personnes handicapées.
Pourquoi ? Parce que dans la réalité, les gens ne font que ça de ne pas vouloir voir le handicap des personnes.
Ben oui, c’est commode. Parce que s’il n’y a pas de handicap, il n’y a pas de besoin d’accessibilité à prendre en compte.
Donc, cette campagne en fait, elle est totalement absurde et a coûté je ne sais plus combien d’argent public, qui aurait pu servir à rendre des sites web accessibles.
Au lieu de faire de la communication comme ça avec des vidéos et des images qui coûtent très cher pour pas grand-chose.
Et puis en fait, on a la même chose qui se passe avec le Duo Day. Vous avez peut-être entendu parler de ça. C’est une journée où les personnes handicapées sont invitées à venir faire un stage auprès de « vrais » professionnels [ou professionnelles].
Comme si les personnes handicapées qui ne travaillent pas, c’est justement parce qu’elles se mettent elles-mêmes des barrières.
C’est pas du tout parce qu’elles sont plus au chômage que les personnes valides, parce que la société leur met des barrières et est inaccessible. C’est pas du tout ça le problème, non [*dit avec un ton ironique*].
En fait, les temps partiels sont très souvent refusés, les adaptations de postes ne sont pas appliquées. Donc les personnes handicapées ne peuvent pas toujours être incluses dans la société telle qu’elle est aujourd’hui. Et les employeurs ne sont pas forcément sanctionnés non plus. Donc, sur le Duo Day aujourd’hui, on ne sait pas combien ça coûte.
On ne sait pas combien de personnes sont embauchées en CDD ou en CDI suite à cette journée. Le gouvernement a communiqué sur 10% de personnes handicapées qui participent au Duo Day et qui obtiennent ensuite un stage, une alternance, un CDD ou un CDI.
Don déjà, 10%, c’est pas grand-chose.
Mais il y a combien de contrats salariés au final parmi ces 10% ? On ne sait pas.
Lili [00:32:46]
Par rapport à ce Duo Day, j’ai été un peu mal à l’aise.
Je ne sais pas si vous avez suivi, mais le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a participé au Duo Day, du coup, avec un jeune influenceur qui n’est autre qu’Arthur Baucheron.
Je n’ai pas le nom exact de sa maladie [amyotrophie spinale de type 2], mais c’est un jeune homme de 18 ans qui est en fauteuil roulant. Et ça faisait un peu « j’aimerais avoir de la visibilité auprès des jeunes ».
Enfin j’étais vraiment très mal à l’aise par rapport aux stories [Instagram] qu’ils mettaient, [notamment] la position d’Arthur qui rencontre Emmanuel Macron et qui lui dit « ça va, Arthur, tu passes une bonne journée ? », comme si c’était un garçonnet.
Julie [00:33:29]
Oui, c’est l’infantilisation des personnes handicapées, c’est tout le temps.
D’ailleurs, si vous regardez le Téléthon, c’est misérabiliste à fond en fait toutes ces campagnes, parce que c’est des campagnes de com au final.
Sur le Téléthon, il y a Elisa Rojas qui a écrit des choses là-dessus, qui sont très intéressantes et qu’il faut lire. Je pense que c’est important de remettre en question la façon dont la société met en scène les personnes handicapées.
Parce que du coup on ne leur donne pas la parole, on parle toujours à leur place. Et puis, on les infantilise tout le temps, même si ce sont des adultes.
L’investissement limité des décisionnaires
Lili [00:34:18]
On peut facilement s’apercevoir que les problématiques du handicap, de l’accessibilité et de l’inclusion sont adressées avec beaucoup de maladresse par les décisionnaires.
Julie met en lumière le décalage entre les législations et l’application de ces règles par les services publics.
Julie [00:34:35]
Là, la réalité aussi, si je reprends l’article 47 de la loi numéro 10 502, en fait, aujourd’hui, on attend toujours qu’il y ait un arrêté qui soit publié, qui permette de dire comment sont appliquées les sanctions, où va l’argent etc.
En fait, la loi aujourd’hui, elle est moyennement appliquée, mais surtout, elle n’est pas applicable complètement.
En fait, pourquoi ça n’avance pas ?
Je pense que c’est aussi parce que finalement, les organismes publics risquent de se prendre des amendes aussi. Puisque la majeure partie des sites publics ne sont pas conformes à la loi.
Donc, forcément, ça a un impact, et à mon avis, ça doit être une des raisons, je pense, de cette attitude, du fait que ça n’avance pas réellement.
Mais il y a un manque de volonté. Et quand on voit que l’on dépense des millions pour des campagnes de com, mais pas pour rendre les sites publics conforme, c’est dramatique.
Et aujourd’hui, dans les autres outils de communication, on a le Gouvernement qui a mis en place un observatoire de la qualité des démarches en ligne.
En fait, c’est 250 démarches publiques les plus utilisées qui sont regroupées dans un tableau sur un site Web. Et dans ce tableau, il y a une colonne qui s’appelle « prise en compte des handicaps ». Et en fait, dans cette colonne, les démarches ont un « oui » quand il y a au minimum 75% de conformité au RGAA.
75%, ça veut dire quoi ? Ben rien du tout.
Parce que si, dans les 25% qui restent, il y a un piège au clavier, eh bien la démarche ne sera pas accessible pour les personnes qui naviguent au clavier.
Donc les personnes qui ont un handicap moteur au niveau des mains notamment, les personnes aveugles qui naviguent sur clavier.
Donc, la démarche, au final, 75% de prise en compte des handicaps, il y a un piège au clavier, c’est une blague ? Il n’y a pas de prise en compte du handicap, si c’est comme ça.
Donc 75%, ça ne veut rien dire.
Et du coup, ce que ce que j’ai pu constater aussi, c’est que le taux qui est affiché au niveau de cette démarche n’est pas forcément le taux pour la démarche, mais le taux pour le site Web.
Et généralement dans l’échantillon des pages auditées, il n’y a même pas la démarche. Donc, ça veut dire qu’en fait la démarche n’a même pas été auditée.
Concrètement, on ne sait même pas son niveau d’accessibilité. Et ça, c’est un sujet sur lequel j’ai alerté et je n’ai pas eu de réponses. Il n’y a rien qui change.
Donc, là, on a des communications [du type] « tiens on va rendre pour telle date, on va rendre 80% des 250 démarches accessibles ».
Alors déjà, si c’est accessible avec 75% de conformité minimum, et bien ce n’est pas accessible.
Et puis, en plus, si l’audit sur lequel on s’appuie pour donner ce score ne contient pas la démarche, ben, ça ne marche plus. Il y a un problème.
Donc, non, pour moi, il n’y a pas assez d’investissements sur la question de l’accessibilité. Et c’est dramatique.
Alors oui, on peut constater, heureusement, des améliorations par rapport à il y a quelques années, mais ce n’est absolument pas suffisant.
Lili [00:38:30]
Mais alors, qui fait avancer les lois si les décisionnaires ne se sentent pas si concernés que ça ?
Natacha nous parle du travail des associations pour défendre les problématiques d’accessibilité.
Natacha [00:38:41]
Donc oui, effectivement, on a des associations qui militent pour un web plus accessible, notamment au niveau de la législation, comme BrailleNet, notamment.
Lili [00:40:12]
Parmi ces organismes qui s’investissent pour l’accessibilité et l’inclusion, on peut aussi parler de l’AFPAP, Access42 ou encore l’Association Valentin Haüy.
C’est évidemment une liste non exhaustive.
Toutes ces associations et organismes, vous pouvez les soutenir en y adhérant, en faisant des dons, en signant leur pétition ou bien simplement en vous informant sur les combats qu’elles mènent au quotidien.
le décalage entre pratique et réalité
Lili [00:39:16]
Malgré notre optimisme légendaire, force est de constater l’énorme décalage entre le cadre législatif et la réalité.
Julie nous le rappelle avec beaucoup de réalisme.
Julie [00:39:27]
Donc les lois qui existent en France, il y en a plusieurs.
Celles qui concernent l’accessibilité numérique, en particulier celle dont on parle le plus, c’est l’article 47 de la loi numéro 2005-102 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
C’est cet article-là qui oblige un certain nombre d’organismes à rendre, entre autres, leur site web accessible.
Alors je dis entre autres, parce que ce n’est pas que les sites web, c’est aussi, les applications mobiles, le mobilier urbain connecté… C’est très large.
Donc la première version, comme le numéro de la loi l’indique, c’est 2005. Et ensuite le décret d’application de la loi est paru en 2009. Donc c’est un peu long. Et dans ce décret, il a été obligé pour les organismes publics de rendre leurs sites web accessibles pour en gros 2011 et 2012.
Et en fait, ça n’a jamais été appliqué.
Les sites des organismes publics ne sont toujours majoritairement pas accessibles, pas conformes en tous les cas au référentiel français.
Et en fait, la dernière version de cette loi, parce qu’elle a été éditée plusieurs fois et elle le sera encore, date de 2018. Et le décret d’application est paru en 2019. Ça a l’air bien parce que du coup, on introduit une amende demande.
Sauf que, en fait, cette version est régressive sur d’autres points. Parce qu’avant on obligeait les sites web a être conforme au RGAA, et aujourd’hui, on les oblige uniquement à publier certains documents qui justifient du niveau de conformité du site et des actions mises en place pour l’accessibilité.
Donc, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, en fait, on va publier sa déclaration d’accessibilité, qui dit par exemple « le site web est conforme à 30% des critères du RGAA ».
On publie un schéma pluriannuel sur trois ans qui dit « du coup sur trois ans, on va mettre ces actions en place pour rendre le service accessible ». Et puis, on publie aussi le plan d’action de l’année en cours.
Mais donc voilà, le site a une déclaration à 30%, tout va bien, il est conforme à la loi. Donc, l’amende de 20 000 euros par site et par an, ce n’est pas si le site n’est pas accessible, c’est si le site ne publie pas ce document-là.
Donc, ça c’est une régression importante et qui, du coup, pose problème.
Et la loi en fait elle sera encore revue, parce qu’il y a une directive européenne qui doit être intégrée à la loi de chaque pays européen avant le 28 juin 2022 et elle concernera donc plus d’organismes. Il y aura notamment le site e-commerce.
Donc, ça va encore changer à l’avenir. J’espère qu’on remettra l’obligation d’accessibilité. Mais ça, je pense que je rêve un peu.
Lili [00:42:52]
On s’est demandé à quoi était dû ce décalage entre les règles théoriques et la réalité.
Nicolas considère que c’est fortement lié à un manque de sensibilisation, d’information, mais aussi de formation.
Nicolas [00:43:04]
Oui, parce que ça reste quand même très confidentiel en réalité.
Mais je reviens à ce que je disais tout à l’heure, je pense que c’est aussi très confidentiel parce que les gens qui font le numérique ne le voient jamais.
Et donc, quand ils le voient, c’est à un moment donné, parce qu’il y a un marché, parce qu’il y a un appel d’offres, parce qu’il y a une exigence du décideur.
On est tous d’accord pour dire que si le décideur lui-même n’a pas cette exigence, il y a peu de chances que ça arrive dans un cahier des charges. C’est très clair.
Mais dans le même temps, ce qu’on dit quand même, c’est que si cette accessibilité numérique n’est pas enseignée dans les formations des métiers du numérique, il y a peu de chances que ça devienne un réflexe.
Lili [00:43:47]
On a également voulu revenir sur la prochaine échéance européenne sur l’accessibilité.
Rappelez-vous, Fernando en parlait un peu plus tôt dans cet épisode.
Il s’agit de l’Accessibility Act, approuvé par le Parlement européen en 2019, qui entrera en vigueur à partir de 2025. Une loi européenne qui impliquera aussi les entreprises avec un chiffre d’affaires inférieur à 250 millions d’euros dans les enjeux d’accessibilité.
Notre question : quel pronostic peut-on faire pour cette échéance de 2025 ?
Fernando [00:44:15]
D’abord apporter une précision, je suis pas forcément enclin à penser qu’en 2025, les entités privées n’atteindront pas l’objectif.
Je dis juste que pour qu’elles l’atteignent, il faut qu’elles s’y mettent maintenant. Parce qu’on sait tous que les développements numériques sont quand même assez complexes, et que si elles s’y mettent en 2024, alors là, pour le coup, il y a de fortes chances qu’elles ne l’atteignent pas.
Mais je pense qu’on est encore dans une bonne temporalité pour que ça soit atteint. Et je peux même vous dire que certains secteurs s’en sont d’ores et déjà emparés.
Je pense notamment au livre numérique, par exemple. On sait que les éditeurs [et les éditrices] font pour certains d’entre eux des efforts pour travailler leur chaîne de production au niveau du numérique [pour] faire en sorte que les livres numériques qui sont commercialisés sur les plateformes d’achats soient nativement accessibles, en tout cas pour une bonne partie d’entre eux.
Donc, je pense qu’il faut être dans la nuance.
En 2025, il est tout à fait possible d’atteindre ces objectifs, mais à condition de se remonter les manches dès maintenant.
Et effectivement, là où je serais plutôt précautionneux, c’est de me dire que si on ne le fait pas dès maintenant et si on ne considère pas qu’il y a des enjeux, alors oui, là, par contre, on va rater ce rendez-vous et là, ça risque d’être compliqué.
Lili [00:45:31]
Pour finir, on a voulu savoir s’il existait des aides financières pour encourager et accompagner les entreprises dans leur transition accessible pour 2025.
Si ce n’est pas le cas, est-ce que cela pourrait aider dans mettre en place ?
Fernando continue à nous éclairer sur ces points.
Fernando [00:45:48]
A ma connaissance, il n’y a pas d’aide pour ça.
En particulier puisque je vous rappelle que les seules [entreprises] qui seront assujettis à cette obligation sont celles qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros.
Donc, je pense que là, le résumé consisterait à dire que quand vous faites un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros, normalement, vous devriez pouvoir considérer la question de l’accessibilité numérique et procéder à sa mise en place dans vos chaînes de production sans que ça n’affecte vraiment vos résultats.
Ça paraît assez raisonnable.
Maintenant, on peut parfois travailler cette question un peu différemment, c’est-à-dire pour des logiciels métier, par exemple, comment remonter au niveau des éditeurs pour que ces logiciels métiers soient rendus accessibles et puissent être des outils qu’on va pouvoir proposer, que ce soit pour des services publics, qui vont employer des fonctionnaires en situation de handicap, ou des entités privées qui vont employer des salariés en situation de handicap.
Et donc là, on peut par moment solliciter des aides, selon le type de logiciel, si ce sont des intranets, etc. Pour les mettre en accessibilité, là il peut y avoir des fonds comme le Fonds d’Insertion pour les personnes handicapées, secteur fonction publique, ou l’Agefiph, qui est son équivalent pour le secteur privé.
Et donc, dans certaines conditions, il est possible de monter des projets pour voir comment améliorer l’accessibilité de ces interfaces.
Mais ça reste des projets avec des conditions particulières, notamment liées à l’employabilité des personnes en situation de handicap pour les entités publiques ou privées que j’ai citées tout à l’heure.
Lili [00:47:53]
Donc, les décisionnaires s’emparent plutôt d’enjeux professionnels par rapport à l’accessibilité.
C’est ça ?
Fernando [00:48:00]
Et bien aujourd’hui, pour moi, c’est une des portes que j’imagine, très clairement.
Après voilà, on redit ce qu’on disait aussi tout à l’heure, c’est que, à un moment donné, ne pas s’emparer de l’accessibilité numérique, au-delà du fait de savoir comment on la fait financer, c’est quand même se couper d’une partie du marché.
Et donc, si je n’ai pas accès aux plateformes de courses en ligne, parce qu’elle m’est inaccessible, mais si j’en ai repéré une, qui elle l’est, alors il est possible que, du coup, une bonne partie du secteur des personnes en situation de handicap va prendre le pli d’aller vers cette entité-là plutôt que l’autre, en disant « celle-là fait un effort, donc je reconnais qu’elle fait un effort ».
Et même si elle vend par exemple des produits différents, ou si elle a une tarification différente, en termes d’expérience utilisateur, je vais m’y retrouver, et donc je vais consommer chez eux.
Lili [00:49:00]
Fernando, nous le rappelle et Nicolas en parlait aussi dans le premier épisode.
L’accessibilité répond également à des enjeux commerciaux. Au moins 20% des utilisateurs et utilisatrices ont des usages spécifiques qui nécessitent de prendre en compte l’accessibilité.
Evidemment, on aimerait que les convictions et la bonne volonté suffisent.
Mais aujourd’hui, on constate que malgré les législations et les besoins de plus de 13 millions de Français et Françaises, 90% des sites Internet français sont soit inaccessibles, soit partiellement inaccessibles.
On n’y est pas encore quoi.
Conclusion
Lili [00:49:55]
Le podcast touche à sa fin ! Merci à nos intervenants et intervenantes d’y avoir participé et de nous avoir éclairé sur le cadre légal entourant l’accessibilité numérique.
On se rend compte qu’en France, on est encore loin du compte. Il existe des lois, ce qui est déjà un premier pas. Mais elles ne sont généralement pas respectées. Faute de réelle application juridique, notamment au niveau des sanctions, qui restent rares voire inexistantes.
On pourrait prendre exemple sur certains voisins européens, comme le Portugal, et sur les Etats-Unis, qui sont bien meilleurs élèves que nous en la matière.
Le problème que l’on rencontre, c’est la sensibilisation de nos décisionnaires aux enjeux de l’accessibilité et l’inclusion numérique. Si tout le monde y était plus sensible, on verrait les choses avancer plus rapidement.
Bref, c’est une question d’empathie finalement.
Et pour faire preuve d’empathie, le mieux c’est de se mettre à la place des personnes qui vivent ces problématiques au quotidien.
On en parle justement dans notre prochain épisode. Restez connecté.e !
D’ici-là, je vous souhaite une belle journée ou une belle soirée.
Merci beaucoup !
Marine [00:51:00]
Cette série de podcast fait partie du projet éthique de l’agence Hippocampe. Notre mission : rendre le web et l’entreprise plus éthique.
Nos trois objectifs : rendre nos pratiques encore plus humaines, renforcer notre sensibilité écologique et opter pour une gouvernance transparente.
Chaque trimestre, on s’intéresse donc à un objectif et une initiative qu’on veut mettre en place pour y répondre.
Retrouvez toutes nos initiatives sur notre blog E-bullition. Un outil pour la croissance numérique éthique des entreprises.
Et la suite ?
Eh bien le troisième épisode de cette série : vivre les problématiques d’accessibilité et d’inclusion numérique au quotidien.
Parce qu’il n’y rien de mieux que de se mettre à la place des personnes qui le vivent pour faire preuve d’empathie et agir !